Le fils de l'homme (Olivier Merle)
Le fils de l’homme
(Olivier Merle)
Ce roman est à la fois le récit de la vie de Jésus et par voie de conséquence celui de la naissance du christianisme. Il n’est nullement ici question de l’affirmation ou de la négation de la divinité de Jésus. En partant de l’idée acceptable par tous qu’il est le fils d’un homme comme tous les autres – les chrétiens ne disent-ils pas d’ailleurs que le Christ s’est fait homme ? – Olivier Merle va montrer comment peu à peu s’est construite sa divinisation, ou comment s’est progressivement installée dans la conscience des hommes l’idée d’un Jésus révélé par Dieu.
Les chrétiens, comme les non-chrétiens, seront reconnaissants à l’auteur d’avoir pris soin de balayer tous les éléments bibliques mystificateurs qui ont fait de Jésus un être difficilement compréhensible et surtout insondable. Jésus est ici un homme qui, séduit par le message de Jean le Baptiste va l’approcher et devenir son disciple parmi d’autres. En faisant table rase des voix venues du ciel et des métamorphoses ou miracles extraordinaires de la Bible pour ne saisir que son talent de guérisseur sachant compter sur le pouvoir du temps, Olivier Merle en fait un homme ancré dans la société de son époque. Et c’est cette magnifique humanisation qui séduit dans la longue première partie d’un livre qui en compte quatre. Jésus s’est souvent mis en colère. Faux prophète aux yeux de beaucoup, il a souvent été agressé et a parfois dû prendre la fuite. Sa relation avec sa mère a été à certains moments très tendue. Il a été sujet à la déception quand – après la mort de Jean le Baptiste – malgré son charisme et son enthousiasme à annoncer la Bonne Nouvelle, c’est-à-dire le retour imminent du royaume de Dieu, il faisait peu de nouveaux disciples ou de nouveaux sympathisants.
En effet, les prêches de Jésus sur la venue du règne de Dieu ne faisaient pas l’unanimité. Malgré son habituelle « tranquille assurance », son comportement et son enseignement « n’étaient pas loin d’éveiller une souterraine hostilité » à son égard parmi ceux qui avaient adhéré aux idées de Jean le Baptiste. Cependant, sur ces terres de Judée, du Pérée et de Galilée où « l’espérance messianique était considérable » parmi les populations, en particulier à Jérusalem – « ce lieu sacré où la présence romaine relevait de l’insupportable » – il était évident que le message de Jésus tombait pour ainsi dire sur une terre fertile. Cela fut très vite suffisant pour les prêtres de Jérusalem qui – chose commune sous toutes les dictatures – pour témoigner leur fidélité à l’occupant romain et perpétuer leur pouvoir, vont promptement prononcer sa condamnation sous le prétexte de préserver la paix religieuse. Sentence qu’exécutera le pouvoir romain représenté par Ponce Pilate.
Ainsi, deux ans à peine après l’arrestation et la mort de Jean le Baptiste, voici de nouveau orphelin le groupe que Jésus a étoffé. Mais c’est justement à partir de ce moment que commence la progressive construction de la croyance en la parole de Jésus comme révélée par Dieu. C’est en effet dans les trois dernières parties de ce livre que nous avons les plus belles pages sur les intuitions, les réflexions et les idées de génie des disciples, faisant de Jésus le Messie pour les juifs tournés vers Jérusalem, le Christ pour les juifs de culture grecque. Mais c’est aussi à partir de ce moment que les disciples se déchirent quant à l’attitude à adopter devant les autorités religieuses de Jérusalem qui ne veulent rien entendre de ce Jésus et de sa Bonne Nouvelle. Cette rude querelle qui naît parmi les disciples – entre les partisans d’une patiente et passive attente à Jérusalem considéré comme le lieu choisi pour le retour de Jésus et ceux mus par l’excitante mais active attente les poussant à partager la Bonne Nouvelle avec les hommes et les femmes qui l’ignorent – fait apparaître de manière magistrale les premières grandes figures de la chrétienté. Et contrairement à l’opinion communément admise, les plus enthousiastes et les plus grands propagateurs de la foi chrétienne ne sont pas forcément ceux que l’on vénère le plus aujourd’hui.
Le fils de l’homme est un roman très agréable et surtout très utile parce qu’il met non seulement un peu d’ordre dans le récit événementiel de la vie de Jésus, sa chronologie, mais également parce qu’il laisse de côté, dans un premier temps, toute la mystique qui entoure le personnage dans les textes bibliques pour le grandir dans l’estime des hommes avant de le grandir dans leur foi. C’est aussi un roman très instructif sur les us et coutumes du berceau de la chrétienté et sur la capacité de l’esprit humain à construire des idéaux galvanisants.
Raphaël ADJOBI
Titre : Le fils de l’homme, 493 pages
Auteur : Olivier Merle
Editeur : Editions de Fallois, 2015.