Le matamorisme dans la police française
Le matamorisme dans la police française
(Thomas Legrand / France Inter – nov. 2020)
Le mot matamore vient de l’espagnol « matamoros » : littéralement « tueur de Maures », ces soldats noirs des armées arabes qui ont occupé l’Espagne durant huit siècles. Aujourd’hui, il est difficile de trouver sur Internet une définition en accord avec les représentations du passé qui montrent les Maures avec une peau noire à l’image de celle de Saint-Maurice.
Les modèles politiques de Gérard Darmanin, ce sont Clémenceau et Sarkozy qui, pense-t-il, ont assis leur autorité et leur popularité au ministère de l’intérieur en incarnant l’ordre. Mais l’ancien maire de Tourcoing a cru que le rétablissement de la sécurité c’était de complaire à toutes les demandes sociales et sécuritaires de la police. C’est en réalité avoir le pouvoir sur les policiers et ne pas se laisser influencer ni par leurs détracteurs ni par leur laudateurs systématiques.
Comme le disait Clémenceau, « la guerre est une chose trop grave pour la confier à des militaires ». Cette maxime peut s’appliquer à Gérard Darmanin sous la forme suivante : « l’élaboration de la politique du maintien de l’ordre est une chose trop grave pour la confier à la seule police ». La police - c’est inhérent à sa fonction – proposera toujours l’escalade plutôt que la désescalade : plus de moyens, plus d’armements, plus de latitude. Avec Gérard Darmanin, Emmanuel Macron voulait un vrai politique à l’Intérieur. Mais à vouloir se servir de Beauvau (Ministère de l’Intérieur) pour asseoir sa propre autorité, Gérard Darmanin a laissé la logique policière prendre le pas sur le politique. Il croyait faire preuve d’autorité ; il a fait preuve de soumission envers la police. Et voilà qu’il est obligé, grâce à des images, de s’inquiéter des dérives de ceux sur qui il ne pèse plus.
C’est vrai que lorsqu’il est arrivé au ministère de l’Intérieur, déjà les forces de l’ordre étaient dans un état d’esprit de surpuissance. Le macronisme ne disposant pas de parti politique ayant pied dans la société ni de lien avec des syndicats de salariés en mesure d’encadrer la colère sociale, ce sont donc les policiers, et eux seuls, qui ont sauvé l’exécutif et le coeur névralgique du pouvoir menacé physiquement au plus fort de la crise des gilets jaunes. Ils se sentent dès lors créditeurs et assez libres de leurs mouvements. Le ministre répète en permanence que c’est le corps le plus contrôlé ; mais il l’est avant tout par ses pairs et les condamnations sont rares, les dérapages violents : par exemple l’affaire du commissariat de police du XIXe arrondissement, l’affaire Théo, les mutilations par flash-ball, la technique de « ninçage », les fins de manif jamais contrôlées, les gardes à vue humiliantes. Tout s’est dégradé en matière de violences policières depuis des années. Eux-mêmes subissent les conséquences de cette escalade.
Arrivant à Matignon, Jean Castex avait expliqué qu’il fallait se garder de tout matamorisme. Il avait expérimenté cette pratique qu’il nomme par ce mot imagé auprès de Nicolas Sarkozy. Coups de menton après promesse de Karcher, durcissement des peines après robocopisation des policiers, les courbes de l’insécurité ne se sont pas inversées. Et ce fut la défaite politique au bout ! Le matamorisme, disait Castex, vous revient toujours dans la figure. Il l’avait bien vu ; il ne l’a pourtant pas évité.