Félix Eboué, le deuxième homme de l'appel du 18 juin 1940
Félix Eboué, le deuxième homme de l’appel du 18 juin 1940
ou le héros Noir chassé de l’histoire de la résistance française
Rares sont les Français de ce XXI è siècle qui connaissent le nom de Félix Eboué. Parmi les élèves, étudiants et même les enseignants, rares sont ceux qui, dans un manuel scolaire ont eu l'occasion de découvrir son image ou lire des textes parlant de son rôle dans l’histoire de la France. Pourtant, sans cet homme, il est certain que la place du Général de Gaule et celle de la France résistante auraient connu tout un autre visage dans l’Histoire de la deuxième guerre mondiale.
Pour comprendre cela, il convient de restituer quelques faits. Quand la France a été défaite en un mois par l’armée allemande (10 mai 1940, elle envahit la France par les pays voisins du nord et entre dans Paris le 14 juin), dès le 16 juin, on discute au sein du gouvernement sur la continuation ou non de la guerre en constituant un front en Afrique du Nord. Mis en minorité, Paul Reynaud, chef du gouvernement et partisan de la continuation, démissionne. Le même jour, le maréchal Pétain, favorable à l’armistice, est nommé à sa place et le lendemain, le 17 juin, annonce officiellement aux Français l‘arrêt des combats et demande l’armistice à l’ennemi.
Le Général Charles de Gaulle qui était secrétaire d’état à la défense dans le gouvernement de Paul Reynaud, s’était envolé pour Londres dès le lendemain de la démission de ce dernier. Partisan de la poursuite de la guerre comme l’ancien chef du gouvernement, le 18 juin, c’est-à-dire au lendemain du discours du maréchal Pétain demandant l’armistice, il lance à la radio londonienne un appel aux Français pour la poursuite du combat, pour le refus de la défaite.
On parle alors de la France Libre. Ce terme qui va plus tard couvrir une multitude de Français de la France métropolitaine comme un manteau de gloire n’avait pas en fait le sens qu’on lui donne aujourd’hui. Il ne désignait pas les rares Français qui avaient réussi à fuir vers l'Angleterre, ni ceux qui vivaient dans la zone non occupée par les Allemands appelée « Zone libre.» « Tous les Français libres » dont parle de Gaulle dans un discours prononcé le 22 juin, sont tous ceux qui dans leur esprit et dans leur cœur aimeraient continuer le combat pour la libération de la France. Dans la réalité, cette France libre n’existait pas territorialement ni militairement. La France Libre n’était qu’une idée, une notion abstraite, un slogan de ralliement.
Félix Eboué concrétise la « France Libre » de Gaulle
C’est exactement le 26 août 1940 que la « France Libre » va enfin avoir un sens concret ! Et cela grâce à un homme : Félix Eboué ! C’est cette étape importante de l’histoire de la seconde guerre mondiale que tout le monde doit retenir, parce qu'elle a fait du général de Gaulle, aux yeux des Anglais et des Américains, un chef militaire pour la reconquête de la France. Oui, c'est elle qui lui a conféré toute sa légitimité.
Devant les nombreux appels au ralliement lancés depuis Londres, les gouverneurs des colonies sont obligés de choisir entre le pouvoir de Pétain et la rébellion incarnée par de Gaulle. Ayant constaté que l'armistice signé respectait la souveraineté de la France sur ses colonies et ses protectorats, les gouverneurs des colonies et les généraux restent fidèles à Pétain et à Vichy. Aussi, le contact pris avec le Résident général du Maroc Charles Noguès par de Gaulle échoue. Quand Félix Eboué avertit son supérieur Boisson à Dakar de son choix, celui-ci le menace de représailles pour son indiscipline. Une fois sa décision officialisée le 26 août 1940, il est relevé de ses fonctions et sera frappé plus tard d’une condamnation à mort par le gouvernement de Vichy. Au Gabon, le Gouverneur Masson se rallie à de Gaulle puis à Pétain et finit par se suicider comme pour fuir ses responsabilités.
Aiguillonnés par le ralliement du Tchad avec Félix Eboué, le Congo-Brazzaville, l’Oubangui-Chari (actuelle Centrafrique) et le Cameroun, arraché par les armes aux partisans de Vichy par le général Leclerc, suivent. Grâce à Félix Eboué en liaison avec les représentants de Charles de Gaulle envoyés en Afrique (René Pleven, Leclerc), la France Libre a désormais un territoire et une armée de nègres aux pieds nus qui donnent de la consistance au maigre effectif de soldats blancs de l’Afrique Equatoriale. De Gaulle, exilé en Angleterre, peut alors, en septembre 1940, poser les pieds à Brazzaville sur un sol où il n'est pas étranger, un sol qui appartient à l'empire français. Il peut enfin participer militairement à la reconquête de la mère patrie. Sa légitimité peut désormais convaincre Roosevelt qui hésitait à lui donner sa confiance. Séduit par le patriotisme de Félix Eboué, le 12 novembre 1940, Le général de Gaulle le nomme gouverneur général de l'Afrique équatoriale française et membre du Conseil de défense de l'empire. Brazzaville devient la capitale de tous les territoires de la France Libre.
Il convient donc une fois pour toute, que tous les Français retiennent et enseignent que c'est en Afrique, avec Félix Eboué, que s'est joué l'histoire de Charles de Gaulle et celle de la participation des Français (majoritairement noirs au départ) à la libération de la mère patrie. C’est en Afrique que la France libre est passée de l’abstrait au concret. A juste titre, le 13 juillet 1942, elle change de nom et devient la France combattante. Et c'est Eboué qui fera construire des routes pour permettre en janvier 1943 à la colonne Leclerc de remonter rapidement vers le Tibesti puis vers la France !
De Gaulle n’oubliera jamais tout ce que fit cet homme. Dès novembre 1940, il crée l'ordre de la libération, avec rang unique de compagnons, en vue de célébrer ceux qui auront oeuvré à chasser l'ennemi nazi. Eboué fait partie de la première promotion, signée le 29 janvier 1941, avec quatre autres compagnons. Ce qui en dit long sur la reconnaissance de son rôle crucial dans l'organisation de la libération de la France. « Félix Eboué, grand Français Africain, est mort à force de servir. Mais voici qu’il est entré dans le génie même de la France », proclama-t-il à sa mort survenue le 17 mai 1944.
Aujourd’hui, on ne cite plus Félix Eboué dans les commémorations officielles de la résistance. Dans les manuels scolaires, on ne le cite plus. En France, excepté sans doute la Guyane sa terre natale, on n'écrit plus sur l’homme. Les deux derniers livres sur lui datent des années 1950. Le dernier travail universitaire est d'un anglais (Brian Weinstein, Oxford University, 1972). C'est Benoît Hopquin qui, récemment, lui a rendu un vibrant hommage en retraçant sa vie et ses combats dans son livre Ces Noirs qui ont fait la France. Peu de Français savent que Félix Eboué est le premier résistant à dormir au panthéon depuis 1949 en reconnaissance de ce qu’il a fait pour la France ? Heureusement que ceux qui l’ont côtoyé ont reconnu sa valeur. Aujourd’hui, pas un seul homme politique n'aurait l'idée de lui proposer le panthéon. Tous des ingrats et parfois même ignorants de l'histoire de la France ! Aussi je dis aux Noirs de France, mêlez-vous de votre histoire, de l’histoire de vos grands-pères et de vos ancêtres. Mêlez-vous de l’écriture de l’histoire de la France et ressuscitez la mémoire des vôtres qui en sont injustement écartés.
°Photo n°1 : Félix Eboué, gouverneur du Tchad accueillant le général de Gaulle à l’aéroport de Brazzaville en septembre 1940.
°Photo n°3 : Arrivée du général de Gaulle à Douala le 8 octobre 1940 ; à sa droite, le général Leclerc, commissaire général du Cameroun.
Raphaël ADJOBI Faites un don ou ahérez à l'association La France noire