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Lectures, analyses et réflexions de Raphaël
13 juin 2011

Le Bilan de l'intelligence (une conférence de Paul Valéry)

                                 Le Bilan de l’intelligence

                                         (Réflexions de Paul Valéry)

Le bilan de l'intell 

            Ce petit texte d’une soixantaine de pages édité en petit format par les éditions Allia est le fruit d’une conférence prononcée par Paul Valéry le 16 janvier 1935 à l’université des Annales. Un constat de l’intelligence humaine devant les faits du monde dont l’homme est à la fois le témoin et l’agent qui résonne encore, plus de soixante ans après, comme une triste réalité. Ce constat, c’est le désordre sans borne que « nous trouvons autour de nous comme en nous-mêmes, dans nos journées, dans notre allure, dans les journaux, dans nos plaisirs, et jusque dans nos savoirs. »

 

            Ce désordre, selon le conférencier, tient avant tout à une conception moderne du temps. « Nous ne savons plus féconder l’ennui », l’idée même de durée nous est insupportable ; il nous faut constamment chercher à remplir le vide. Aussi, nous multiplions les productions, les « nouveautés dans tous les domaines ».  Aujourd’hui, on n’attend pas de sentir un besoin pour chercher une solution ; on invente pour ensuite susciter le besoin. Ces brusques développements des choses sont venus interrompre une tradition intellectuelle. Ainsi, la continuité que nous connaissions dans les esprits et faisait que, d’une part, l’homme cherche dans le présent la suite et le développement des choses passées, et d’autre part qu’il cherche à déduire de ce qu’il sait du présent quelques éléments pour appréhender le futur sont une tradition oubliée ou perdue. « Nous ne regardons plus le passé comme un fils regarde un père, duquel il peut apprendre quelque chose, mais comme un homme fait regarde un enfant », conclut-il dépité.

 

            Paradoxalement, le désordre dont il est question et qui est la conséquence d’un développement intellectuel intense ne permet pas à notre intelligence de s’adapter à son évolution. Toutes les productions humaines ont été faites « sans ordre, sans plan préconçu », et surtout sans égard pour la nature humaine et sa capacité d’adaptation à l’évolution des choses produites. En d’autres termes, l’esprit humain semble ne pas surmonter ce qu’il a fait. « Tout ce que nous savons, dit Valéry, tout ce que nous pouvons, a fini par s’opposer à ce que nous sommes ». Nous voilà bien ! diriez-vous.                   

 

            Si nous nous inquiétons aujourd’hui de la vitesse des productions de notre monde, c’est certainement parce qu’au fond de l’être humain le besoin de quelque stabilité est une nécessité vitale. Nous avons besoin, comme dirait Montaigne, de nous sentir dans une assiette certaine. Ce qui permet à Paul Valéry de conclure que « ce monde prodigieusement transformé » par l’intelligence humaine n’est peut-être rien d’autre qu’une période de transition. Qu’est-ce à dire ? Ici, je reprends l’exemple donné par Valéry lui-même pour mieux vous faire comprendre pourquoi nous vivons sans doute une époque de transition. Imaginez une femme en âge de procréer. Cette femme est à « une époque de stabilité ». Puis vient un jour où elle tombe enceinte. Elle entre dès lors dans une époque de transformation ou « une époque de transition » qui aura son terme. A la naissance de l’enfant, elle entrera dans une nouvelle époque de stabilité. La situation actuelle du monde s’apparente fort – dit Valéry – à une époque de transition comme celle décrite. « Qui sait si toute notre culture n’est pas une hypertrophie, un écart, un développement insoutenable qu’une ou deux centaines de siècles auront suffi à produire et à épuiser ? ». En d’autres termes, une espèce de poussée de fièvre qui se calmera et disparaîtra sûrement.   

 

            Mais alors, me direz-vous, pourquoi s’inquiéter ? Malheureusement, disons-le, il y a de quoi à être inquiet. En attendant la traversée de cette période de transition dont nous ignorons la durée, l’esprit humain – puisqu’il s’agit de lui – court un risque majeur : le retour vers l’animalité. C’est vrai, la souplesse de l’intellect est admirable, dit Valéry ; mais il n’est pas certain qu’il résiste indéfiniment au traitement inhumain, aux excès que nous lui infligeons et qui émoussent notre sensibilité. Aussi, conclut-il sur ce chapitre, « Tout l’avenir de l’intelligence dépend de l’éducation, ou plutôt des enseignements de tout genre que reçoivent les esprits. »

 

A ce stade de son exposé, Paul Valéry entreprend une sévère critique de notre système d’enseignement qui, selon lui, participe au désordre de notre temps qu’il vient de peindre. Le diplôme que notre système éducatif a érigé en valeur absolu lui apparaît comme le pire ennemi de la culture puisque le minimum exigible devient l’objet des études et non point la formation de l’esprit. On peut convenir avec lui que le diplôme qui passe parmi nous pour savoir n’est en fait que le brevet d’une science momentanée. Valéry le juge même « mauvais parce qu’il crée des espoirs, des illusions de droits acquis ».

 

            Ce livre est un concentré d’intelligentes réflexions sur l’état du monde et de l’esprit humain. Il nous rappelle que devant nos productions désordonnées et notre passion de l’immédiateté, notre sensibilité s’émousse. L’effacement des intellectuels devant les politiques et les débats futiles nous le montre assez. Remettre ce texte sous nos yeux, c’est nous appeler à un examen de conscience devant les productions de notre esprit qui, après nous avoir émerveillés, commencent à nous inquiéter.    

 

Raphaël ADJOBI

 

Auteur : Paul Valéry

Titre : Le Bilan de l’intelligence (61 pages)

Editeur : Editions Allia, 2011.

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Commentaires
S
Merci de me signaler cet autre texte de Paul Valéry. Ses réflexions sont très belles. Je ne le connaissais pas sous cet angle. <br /> <br /> La multiplication des productions pour combler le vide dont parle Valéry est bien traitée dans ton texte. Et je suis d'accord avec toi pour reconnaître que la culture élève l'homme.
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C
hello, merci encore de fair partager un texte de ce penseur exigeant du siècle dernier. si tu ne l'as pas fait n'hésite pas à lire du même auteur Regards sur le monde actuel. J'ai moi même il y a environ deux ans écrit un article sur l'ennui dans l'hypermodernité. Tu pourra le lire à parti du lien ci-après: http://reflexions-actuelles-dnn.blogspot.com/2009/04/de-lennui-et-les-loisirs-dans-la.html
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