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Lectures, analyses et réflexions de Raphaël
21 juillet 2011

"Votre paix sera la mort de ma nation", Lettres de guerre d'Hendrik Witbooi (1830-1905)

          « Votre paix sera la mort de ma nation »

             Lettres de guerre d’Hendrik Witbooi (1830 – 1905)

                          Capitaine du grand Namaqualand

 

Votre paix seraAvez-vous connaissance d’un acteur noir de la vie politique africaine du 19e siècle qui aurait laissé des écrits témoignant de son action contre les envahisseurs européens ? Non ? Alors, le livre que je vous présente mérite le qualificatif de « plus beau monument de l’histoire africaine du 19e siècle ». Cependant, celui qui a suivi avec suffisamment d’attention les événements qui ont dominé l’actualité africaine durant les premiers mois de l’année 2011 risque de porter un jugement sévère sur les chefs africains quant à leur responsabilité dans le piétinement du continent noir.                        

 

            « Votre paix sera la mort de ma nation » est la somme des lettres qu’un dirigeant de l’Afrique Australe - du Namaqualand (globalement la Namibie actuelle) - a échangée avec les colons européens et ses pairs africains quand les premiers ont entrepris de se partager le continent noir suite à la conférence de Berlin de novembre 1884 à février 1885.  Hendrik Witbooi – puisque c’est de lui qu’il s’agit – a connu tous les grands hommes de l’expansion européenne qui sont partis du Cap vers l’intérieur de l’Afrique comme Cécil Rhodes. Mais ses interlocuteurs immédiats étaient les colons allemands auxquels revenaient - selon sans doute les accords de Berlin - les terres du Namaqualand dont il était le chef le plus éminent. Il convient de signaler ici que si la Conférence de Berlin, qui avait pour vocation d’organiser le partage de l’Afrique au profit des puissances occidentales, avait prévu dans son texte des clauses portant sur le respect des droits et des libertés des indigènes, pour la première fois, il était stipulé la notion de « sphères d’influence » sur lesquelles les Occidentaux étaient autorisés à exercer leur tutelle. Cela paraît bien compliqué, n’est-ce pas ? Ces subtilités des textes, Witbooi n’a pas manqué de les dénoncer dans de nombreuses lettres aux Allemands et aux Britanniques. Il n’aura de cesse de faire remarquer à ses interlocuteurs blancs les incohérences de ces clauses en exprimant son incompréhension devant les traités de protection que les puissances étrangères proposent aux chefs africains tout en parlant de leur liberté.

 

            Cependant, l’expression de sa première grande indignation est adressée à l’un de ses  pairs et adversaires africains. L’une des lettres à son plus grand ennemi africain est à classer parmi les plus belles de cette correspondance. Devant la colonisation européenne faite de contrats de protection, Hendrik Witbooi prône l’unité des chefs africains au-delà des adversités pour s’opposer à l’envahisseur. Une longue lettre d’une stupéfiante modernité, aujourd’hui où l’on parle ouvertement de recolonisation de l’Afrique alors que certains chefs d’états s’allient avec les occidentaux contre d’autres Africains. Ce que Witbooi déplore, ce n’est point le manque de loyauté de son adversaire qui se joint à une puissance étrangère pour le combattre mais bien la perte de la souveraineté d’un chef africain qui accepte de se placer sous la protection et donc l'autorité des Européens qu’il fustige : «  J’apprends, écrit-il au capitaine Maharero (chef du Hereroland), […] que vous vous êtes placé sous la protection allemande et que le Dr Göring détient par conséquent le pouvoir de vous dire quoi faire, et de trancher à sa guise  dans vos affaires, particulièrement dans cette guerre entre nous, avec sa longue histoire. […] Et maintenant que vous vous êtes soumis à un autre puissant gouvernement, que reste-t-il de votre autonomie de capitaine ? […] Je ne vois pas comment vous pouvez continuer à le prétendre dès lors que vous avez placé quelqu’un au-dessus de vous et que vous vous êtes soumis à lui et à sa protection. Celui qui se tient au-dessus détient la suprématie ; celui qui est en dessous est subordonné, car il se tient sous le pouvoir d’un autre. Vous regretterez éternellement d'avoir abandonné votre terre et votre droit de régner entre les mains des hommes blancs. »

 

            N’allez surtout pas croire que ces propos sont ceux d’un roublard. Non ! C’est celui d’un chef africain conscient du danger de la perte de la souveraineté de tous les chefs africains qui se placent sous l’autorité des Blancs. Lui voyait clairement que dans cette course à la possession des terres africaines où les Européens se livrent une farouche concurrence, ils sont aussi capables de parvenir à des accords de non-agression afin d'atteindre leur but contre les populations noires. Lui savait que les conférences de paix, les institutions de paix des Européens n'ont pour seul but que de prendre possession de tout ce qui appartient aux Africains. Son appel à ses ennemis africains d’hier est donc motivé par la sauvegarde de l’intégrité des nations africaines et de leur culture comme il le souligne dans de nombreuses lettres.   

 

            De toute évidence, Hendrik Witbooi voit dans les protectorats que les européens proposent aux chefs africains une expropriation de leurs terres, de leurs territoires. Aussi, dans son cas, il comptait sur les clauses relatives au respect des droits et des libertés des Africains pour faire respecter le fait que « nul ne devrait être contraint de livrer sa terre ou d’accepter la protection » des Européens. En d’autres termes, il essaie de faire entendre raison aux Blancs en portant le combat sur le plan juridique. Sa rencontre avec le commissaire impérial allemand en 1892 à Hoornskrans, sur ses terres, fut d’ailleurs l’occasion d’un grand débat dont le contenu est à verser dans les annales des réflexions sur la colonisation. Pour le représentant allemand, dans la guerre d’influence que se livrent les grandes puissances, si ce n’est pas l’Allemagne qui assujettit et domine les terres du Namaqualand ce seront d’autres. Il vaut donc mieux que ce soit l’Allemagne. Quelle règle implacable ! Quel raisonnement arbitraire à l’égard des peuples d’Afrique ! Il n’est donc pas étonnant que le fait de voir Hendrik Witbooi « refuser la souveraineté allemande » soit considéré par ce représentant allemand comme un crime abominable. Dans une lettre datée du 15 août 1894, celui-ci lui signifie clairement que « ce refus équivaut à une déclaration de guerre ». Voilà la justice selon le point de vue des Européens !

 

            Durant toute cette période de l’expansion de l’Europe en Afrique, jusqu’à sa mort le 29 octobre 1905,  Hendrik Witbooi a dû faire de nombreuses concessions mais sans jamais renoncer ni au combat diplomatique ni à la lutte armée pour l’indépendance des terres africaines. Sa correspondance nous fait découvrir un esprit plein de courtoisie, même dans l’adversité ; un homme désireux de maîtriser les formules protocolaires en usage chez les Européens afin de n’offenser personne par ignorance. C’est également un homme respectueux des règles traditionnelles de la guerre, lesquelles excluent la duperie de l’adversaire et l’humiliation des vaincus ; un homme plein de justice et d’équité qui refuse l’embargo dont usent les Européens pour affaiblir les armées africaines pour ensuite les anéantir. Aussi, peut-on lire dans une lettre adressée au Commissaire allemand le 24 juillet 1893 ces lignes magnifiques qui sembleront à certains d’un autre monde : « Et si vous avez l’intention de continuer à me combattre, je vous implore une nouvelle fois, cher ami, de m’envoyer deux caisses de cartouches Martini-Henry, de façon à ce que je puisse contre-attaquer. […] Donnez-moi des armes, comme il est de coutume entre grandes et nobles nations, afin que vous conquériez un ennemi armé : ainsi seulement votre grande nation pourra prétendre à une victoire honnête. » Oui, lui a le sens de l’honneur chevillé au cœur et croit naturellement qu’ « à vaincre sans péril on triomphe sans gloire ». Mais pour les Européens cette idée n’est que littérature ! 

 

            Terminons en soulignant que la compréhension de l’esprit de cette correspondance pleine de belles réflexions serait incomplète sans la lecture de l’excellente préface qui est un concentré de l’histoire des débuts de l’expansion et de la colonisation de l’Afrique australe à partir de l’établissement néerlandais du Cap de Bonne-Espérance. Préface qui nous montre la complexité des alliances et des forces en présence avant et pendant la période de la rédaction de cette correspondance, préface très instructive qui précise le parcours des lettres après la mort d’Hendrik Witbooi, le bilan des massacres de la résistance africaine et qui se termine par le point de vue de l’Allemagne du 21e siècle sur l’histoire de cette partie du monde.     

 

Raphaël ADJOBI

 

Titre : « Votre paix sera la mort de ma nation » (174 pages)

Auteur : Hendrik Witbooi ; Préface de J.M. Coetzee

Editeur : Le passager clandestin, mars 2011 ;

               traduit de l’anglais par Dominique Bellec.

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Commentaires
S
Chère Liss, <br /> j'ai visionné les deux vidéos et je peux te dire que depuis hier la colère me vrille le cœur. <br /> Je suis actuellement en vacances en Bretagne après un bref séjour en Normandie. Je ne manquerai pas de me joindre au mouvement de solidarité qui se manifeste à l'égard de Sylvia Serbin, dès mon retour chez moi. <br /> En tout cas, merci d'avoir pensé à moi. C'est une information qui, de toute évidence, met de l'eau à mon moulin.
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L
Mon cher St-Ralph,<br /> <br /> je ne sais pas si tu as déjà entendu parler de Sylvia Serbin, mais une video a été bubliée hier sur facebook, que je me suis empressée de partager aussi, avec la volonté de participer un tant soit peu à ce que cette affaire, parce que c'en est une, connaisse plus d'écho. Je t'invite à regarder les videos suivantes, la première c'est le début, mais c'est surtout la deuxième !!! Je te laisse découvrir, à moins que tu les ai déjà visionnées. <br /> <br /> http://www.youtube.com/watch?v=9zEBdCRQw0I<br /> <br /> http://www.youtube.com/watch?v=zTCAeGvMnh8&feature=related
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S
Merci, Obambé, pour les précisions concernant le texte dont parles Liss. quant à celui de Baudoin, j'en ai fait une analyse sous le titre "Sékou Touré, Patrice Lumumba, mes étoiles des indépendances africaines (2)".<br /> <br /> Je vais prospecter pour une nouvelle pépite. Mais pour le moment, je ne rêves que de vacances ! A bientôt.
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O
@ Liss,<br /> <br /> Le discours dans lequel le roi des Belges s’adresse aux religieux est celui du roi Léopold II (1865-1909, mort le jour même de ses 44 ans !), fils de Léopold Ie, le fondateur de la dynastie. Son lointain successeur, Baudouin Ie (1930-1993) prononcera lui aussi un discours très paternaliste, le 30 juin 1960, jour de l’indépendance du Congo-Kinshasa. <br /> <br /> @ St-Ralph,<br /> <br /> J’attends avec impatience ta prochaine pépite. Bonnes vacances.<br /> <br /> @+, O.G.
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S
@ Mon cher Obambé, <br /> tu es enthousiaste comme je l'ai été dès les premières lettres. Je ne connais pas l'histoire du leader des Quilombo dont tu parles ; aussi j'espère qu'un jour je la tiendrai entre mes mains. Oui, nos héros sont souvent méconnus ou ignorés. Il y a du travail qui nous attend dans les deux cas ! Et quand les rues des villes africaines porteront leurs noms, ce sera déjà une belle façon de les célébrer. <br /> <br /> <br /> @ Je connais ce texte, Liss. Il ne fait pas partie du discours prononcé en 1960 par le roi des Belges. Je l'ai également photocopié mais je ne sais plus où je l'ai laissé. Comme je suis dans un établissement privé catholique, je comptais le faire lire à certains collègues. Finalement, je ne l'ai pas fait. Il doit être dans un de mes dossiers quelque part au collège. Je voudrais tout simplement faire remarquer que l'origine du texte ne me semblait pas suffisamment claire. Je ne me souviens plus si celui qui l'avait mis en ligne parlait du message d'un religieux belge ou non. Le contenu de ce texte est conforme ont âneries qui étaient clamées ou diffusées sans vergogne jusqu'au début du 20e siècle. Concernant les Africains, les Européens étaient tellement convaincus de leur supériorité et de leur droit qu'ils se permettaient (et se permettent toujours) des discours qui dépassent l'entendement.<br /> <br /> Je tâcherai de retrouver le texte sur le net ; sinon.... à la rentrée ! (j'écris ce dernier mot malgré moi !)<br /> <br /> @ Oui, Cunctator, c'est un livre absolument magnifique. Le ton des lettre est toujours courtois mais le discours reste franc avec tous ses correspondants. C'est un livre qu'il faut absolument lire. J'espère que nous serons nombreux à le découvrir et à le conseiller. Pour moi, c'est un monument de l'histoire de l'Afrique qui mérite d'être connu.
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