Les dozos de Côte d'Ivoire, dernier vestige de la contribution des Noirs aux traites négrières
Les dozos de Côte d’Ivoire, dernier vestige
de la contribution des Noirs aux traites négrières
On les appelle communément « chasseurs traditionnels ». Mais rares sont ceux qui savent ce que cache ce vocable. De quelle chasse s’agit-il, en effet ? Dans cette zone de savane du nord de la Côte d’Ivoire, quel gibier chassait cette confrérie armée de fusils et de coupe-coupe et vêtue d’un uniforme reconnaissable de loin ? Naïfs sont ceux qui, aujourd’hui, ont vite cru que ces hommes subissaient des rites sensés les rendre invulnérables aux balles pour aller à la chasse aux sauterelles ou aux serpents pullulant dans ce nord peu peuplé. Il convient de tourner son regard plus loin vers le passé pour découvrir la vraie histoire de cette confrérie qui, faisant de son habillement un réel épouvantail, ne peut en aucun cas être prédatrice du monde animal.
Non, quand on travaille à se rendre invulnérable aux armes à feu, on ne va pas à la chasse aux animaux qui, jusqu'à preuve du contraire, ne portent pas de fusils. La formation de ces groupuscules aux déguisements effrayants remonte, de toute évidence, à la traite négrière musulmane, entre le 8è et le 16è siècle. Avant les peuples côtiers qui ne jouiront d’armes à feu qu’à l’avènement de la traite atlantique, les populations du Sahel, elles - avec les zones de savane, pour être plus large - vont, au contact des arabes, très tôt apprendre leur maniement. Aujourd’hui encore, dans tous les pays d’Afrique occidentale sahélienne de confession musulmane, jusqu’au Maroc et en Algérie, les fêtes au cours desquelles l’on tire des coups de fusils en groupe sont choses courantes.
Les dozos de Côte d'Ivoire ne sont en réalité qu'une survivance de la contribution des Noirs aux traites négrières musulmane et atlantique. Leur vocation première était la chasse à l'homme. Enlever hommes et femmes dans les champs, incendier les villages et faire des captifs, voilà ce à quoi ils étaient formés. Leur présence aujourd'hui dans le paysage militaire du pays ne peut donc que réveiller des souvenirs peu agréables pour l'Afrique, des souvenirs dont notre continent ne tire aucune fierté. Certes, si le crime de l'esclavage a toujours été préparé et financé dans des cercles à l'étranger, s'il est vrai qu'il y a eu à chacune de ses étapes des résistants, force est de reconnaître que les réseaux de Noirs africains attirés par l'appât du gain ont prêté main forte aux Arabes et aux Européens pour leur faciliter la tâche. De même qu'aujourd'hui, malgré les mouvements de résistance à la recolonisation de l'Afrique, certains Noirs se prêtent volontairement comme instruments locaux aux actes de prédation des Européens sur le continent.
Les Ivoiriens ne peuvent donc nullement être fiers d'abriter en leur sein un vestige du passé qui n'honore pas la mémoire de l'Afrique. Quand, il y a plus de dix ans, les dozos ont commencé à défrayer les chroniques des médias locaux, c'est avec des quolibets que le public accueillait leurs aventures qu'il jugeait pittoresques. On redoutait leur violence, certes ; mais c'était tout. Et parfois même, pour se garantir des vols et des intrusions nocturnes à leur domicile, certains riches propriétaires louaient leurs services et en faisaient des gardiens. Personne n'osait alors s'indigner de l'existence d'une telle milice au sein d'une nation moderne comme la Côte d'Ivoire. Cela dura jusqu'au moment où ces dozos s'engagèrent aux côtés des rebelles ivoiriens venus du Burkina Faso et qu'on les vit égorger allègrement les populations. Dès lors, tout le monde prit peur. Mais qui aurait à l'époque osé demander leur disparition ? Les Nordistes ivoiriens auraient crié à la chasse aux diaoulas ! On se tut donc et on se mit à serrer les fesses. Malheureusement, en 2011, l'irréparable se produisit : les dozos massacrèrent la population de Doukoué dans le seul but de permettre aux populations du nord (communément appelées "dioula"), du Mali et du Burkina de s'approprier des terres nouvelles. Devenus les supplétifs de l'armée des rebelles au service du prétendant de la France et de l'Onu au fauteuil de président de la République, ils ont eu le sentiment qu'ils avaient une mission sacrée à accomplir puisqu'ils étaient désormais intouchables.
Les Ivoiriens ont toutes les raisons d'avoir honte de voir que les gouvernants actuels, installés par des forces étrangères, s'appuient sur les FRCI, des soldats issus d'une ethnie ou d'une ère géographique spécifique, pour gouverner. Mais plus grande encore doit être leur honte de voir ces dozos, vestige du passé esclavagiste de l'Afrique, devenir les supplétifs d'une armée que l'on voudrait nationale. Comment une confrérie de chasseurs d'esclaves ayant des pratiques occultes et sanguinaires peut-elle servir une nation parallèlement à son armée qu'on voudrait républicaine ? N'est-ce pas laisser le diable entrer dans nos rangs ? Seule une dictature peut faire de ces êtres singuliers un organe d'utilité publique parce que leurs moeurs violentes immuables lui sont nécessaires. Et qu'aucune presse étrangère ne s'interroge sur l'existence dans les FRCI de cette excroissance dépareillée aux moeurs sauvages et non point militaires - alors que les patriotes sont qualifiés de miliciens antidémocrates - est assez troublant. Oui, trop troublant pour ne pas ressembler à de la complicité avec le nouveau pouvoir aux allures dictatoriales.
Raphaël ADJOBI