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Lectures, analyses et réflexions de Raphaël
19 mai 2012

L'Allée des Soupirs (Raphaël Confiant)

                                       L'allée des soupirs

                                           (Raphaël Confiant) 

L'Allée des Soupirs 0001            Quel merveilleux roman ! Il révèle l'âme antillaise dans laquelle les Africains reconnaîtront toute l'affection qu'ils mettent dans leurs sarcasmes. Raphaël Confiant confirme ici qu'il y a dans la manière de raconter des Antillais une grande part de dérision qui fait de la vie, même triste, un vrai spectacle ou un conte magnifique. L'Allée des Soupirs est une histoire d'amour contrarié par une émeute qui va mettre en évidence toute la beauté pittoresque des figures apparemment insignifiantes de Fort-de-France, et par la même occasion un pan de l'histoire de la Martinique. 

            Quelques jours avant les fêtes de Noël de l'an 1959,  Ancinelle Bertrand, la jeune et « belle chabine dorée aux yeux verts de dix-sept carats », court à un rendez-vous galant à l'Allée des Soupirs quand elle tombe sur une révolte populaire qui venait d’éclater. Son amoureux, monsieur Jean, un quinquagénaire fou de Saint-John Perse, est également retardé par le même événement. Devant les difficultés qui semblent compromettre ce rendez-vous « tant prometteur d’heureuseté », le récit laisse la place à un dialogue imaginaire entre les amants. Ancinelle est lancée dans toutes les explications qu'elle pourrait donner à l’élu de son cœur pour qu’il lui pardonne son retard ou son absence. Monsieur Jean, de son côté, dresse un portrait négatif des multiples prétendants au cœur de sa belle afin que celle-ci les écarte de son chemin. Ainsi, d’une part, le lecteur découvre les origines du conflit et ses différentes péripéties auxquelles Ancinelle va finalement prendre part de manière active, et d’autre part il fait connaissance avec les différents personnages qui sont impliqués dans tous les événements qui constituent la vie quotidienne aux Terres-Sainville, ce quartier populaire de Fort-de-France. Et si on ajoute à ce récit et à ces portraits le regard du narrateur, c’est une joyeuse polyphonie dans laquelle le lecteur demeure constamment plongé. 

            Si à l’arrière plan nous avons la narration de faits historiques comme la guerre d'Algérie et l'établissement des Pieds-Noirs dans les Antilles ou le séjour du général De Gaulle en Martinique, tout le livre se révèle être essentiellement un magasin hétéroclite de portraits aussi savoureux les uns que les autres émergeant de ces quatre jours d'émeute de l'an 1959. Et ce qui fait son charme, c’est ce retour incessant sur les différents personnages qui sont peints selon des ouï-dire ; c’est-à-dire que sur un même portrait, le narrateur nous livre les deux ou trois versions connues dans le quartier des Terres Sainville. Car dans cette société martiniquaise, tout laisse à penser que rien n’est totalement vrai, mais rien n’est totalement faux non plus. 

            Qui peut, en effet, dire qu’il connaît la vraie histoire de Fils-du-Diable-en-Personne ou celle de Ziguinote, l’Indien gardien du cimetière des riches ? Qui est vraiment Sidonise vincent, dite Shirley Vingrave alias Sylvia Menendez, qui court d’une île des Caraïbes à l’autre pour se fournir en marchandises de toutes sortes ? Eugène Lamour est-il vraiment le don juan que l’on dit ? Et Cicéron, cet ancien étudiant en médecine devenu fou dans le mitan de la tête l’est-il vraiment, si philosophe qu'il est ? En tout cas, celui-ci est plaisant à suivre ; et sa déclaration universelle de désamour de la langue française est un pur délice ! Sait-on toutes les facettes de la vie de Madame Villormin, la vendeuse de bonbon et tenancière de boxon, en d’autres termes « pâtissière par-devant et mère-maquerelle par-derrière » ? Et le camarade Angel, qui est-il vraiment ? Heureusement, les dernières pages qui élargissent la dimension politique de la révolte de décembre 1959 nous le révèlent davantage. 

            Au fur et à mesure que l’on avance dans le roman, on se rend compte que les personnages qui nous sont devenus familiers n’ont pas fini de nous livrer la totalité de leur caractère ou de leur histoire. D'ailleurs, Ancinelle Bertrand étonnera le lecteur comme elle a surpris les autres personnages du roman. Il faut dire que sur cette île de la Martinique, les relations amoureuses - aussi bien que les liens de parenté - se croisent et s’entrecroisent au point que tout le monde connaît un peu la vie de chacun. 

            Sous son abord très disparate, L’Allée des Soupirs séduit à la fois par la beauté des portraits et le chatoiement du français des Antilles. L’on pourrait même dire que c’est la beauté de cette langue qui constitue le suc du livre. Les lecteurs Africains – je pense particulièrement aux Ivoiriens - trouveront dans ce roman ce penchant qu’ils ont à tout présenter sous l’angle de la plaisanterie. Le créole n'est en en réalité que cette âme africaine pétrie dans le creuset de la multitude des peuples des Caraïbes et qui a donné une langue française fleurie « pleine de gamme et de dièse ». Il y a d’ailleurs dans le livre une défense du créole par le  personnage de Jacquou Chartier, le Blanc-France, qui lui voue un vrai culte et refuse de le considérer comme un patois vulgaire. Il affirme même que « la haine du créole n’est qu’un aspect de la négrophobie ». Quant à la langue française des Antilles, le lecteur se rendra lui-même compte que l'Antillais est un grand « fabriqueur » de mots. Il comprendra que  lorsque les chanteurs et les hommes politiques disent « l’avoir dans la peau », « toute la sainte journée », « bravitude » ou « méprisance », c’est la promotion du français antillais qu’ils font. Une langue d’une extraordinaire beauté que nous gagnerons tous à découvrir et à aimer. Le Nouveau Monde est assurément formidable : il a donné l'anglais américain que nous connaissons et le français antillais qu'il nous reste à découvrir.   

Raphaël ADJOBI          (pour contacter l'auteur du blog, cliquer sur sa photo)                              

Titre : L'Allée des Soupirs, 547 pages

Auteur : Raphaël Confiant

Editeur : Gallimard, Collection Folio, 2010

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Commentaires
S
Ah, je vois que tu es un connaisseur de Raphaël Confiant ! C'est le deuxième roman que je lis de lui (après "Case à Chine"). En tout cas, comme tu dis, on rit avec lui ! Merci à toi de me signaler "Black is Black" que je lirai avec plaisir. Quand je sors des essais qui me passionnent, lire un roman qui m'arrache des rires est un vrai bonheur !
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O
Bonjour,<br /> <br /> <br /> <br /> Je n’avais jamais lu ce roman. Mais je me ferai le plaisir de le croquer à pleine dents.<br /> <br /> La 1e fois que j’ai entendu parler Raphaël Confiant, c’était il y a fort longtemps. Je ne saurai retranscrire ici ce que j’avais entendu, mais j’avais cru percevoir de sa part une hostilité à l’égard des Africains. Du coup, je m’étais dit « Laisse tomber, des auteurs de qualité, la Caraïbe n’en manque guère ». Et puis, l’âge aidant, je l’ai entendu aborder pas mal de sujets. Les réserves que j’émettais se sont doucement évaporées et je suis allé à l’essentiel : le lire. Et je n’ai pas été déçu du voyage. Le rire étant un de mes plus fidèles compagnons de route, je ne saurais recommander son roman « Black is Black » (Editions Alphée). J’ai ri du début à la fin. <br /> <br /> <br /> <br /> Je te félicite pour la manière, mon cher St-Ralph, que tu as de résumer un ouvrage et de susciter l’envie de le saisir et d’en faire sien.<br /> <br /> Merci. J’achèterai et je lirai (oui, certains achètent mais ne lisent pas).<br /> <br /> <br /> <br /> @+, O.G.
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S
Oui, Liss, ce roman est très plaisant ! Le style (la langue française des Antilles) et les petites histoires sont très drôles. C'est le deuxième roman de Raphaël Confiant que je lis ; et cette fois enore il m'a comblé.
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L
Très beau papier, St-Ralph, on sent combien ce roman a emporté ton adhésion, tu es rarement aussi laudateur ! Belle défense de la langue française, made in Antilles.
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