Dumas, le comte noir, ou l'histoire du vrai comte de Monte-Cristo (Tom Reiss)
Dumas, le comte noir
ou
l'histoire du vrai comte de Monte-Cristo
Avec cette biographie de son père, les amoureux de l'écrivain Alexandre Dumas vont être comblés ! Ils vont enfin pouvoir mettre une image réelle sur le portrait romanesque d'Edmond Dantès, le héros du Comte de Monte-Cristo. Car c'est bien du comte Alexandre Davy de la Pailleterie - ce métis né à Saint-Domingue, aujourd'hui Haïti - qui deviendra le général Alexandre Dumas, dont il s'agit ici. C'est donc au premier des trois Alexandre Dumas - le moins connu en ce XXIe siècle - que s'est intéressé l'Américain Tom Reiss, afin de mieux éclairer l'oeuvre éblouissante et étourdissante de son fils qui demeure aujourd'hui le plus célèbre des écrivains français.
Une précision importante : ce livre est assurément plus qu'une biographie du premier général noir de France qui, sous la Révolution, fut un vrai symbole pour la première république. C'est un récit passionnant, admirablement mené, qui nous fait découvrir l'émergence d'une élite noire dans la société aristocratique parisienne de la fin du XVIIIe siècle. Un vrai paradoxe dans ce siècle esclavagiste ! Il faut lire ce livre pour connaître l'histoire de la Révolution française dans toute sa violence et ses excès, mais également son amour d’égalité et de fraternité au sein de l’Empire d’alors. C’est en effet à l’unanimité et par acclamation que le 4 février 1794 la Convention a voté l’abolition de l’esclavage des nègres dans l’ensemble des colonies (août 1793 à Saint-Domingue), conférant par la même occasion la qualité de citoyen français à tous les hommes domiciliés dans les colonies sans distinction de couleur. Enfin, on apprend ici, dans les détails les plus significatifs - parce qu'ils émanent des militaires - la fabrication progressive du mythe napoléonien qui va rapidement ruiner les acquis humains ou moraux de la première république née de la Révolution.
La Révolution de 1792 avait en effet mis la France au banc des accusés de toutes les monarchies européennes. Craignant voir celles-ci l'envahir pour rétablir Louis XVI sur le trône, elle entreprit de passer à l'offensive. Dans tout le pays, « la guerre avait justifié la terreur. Les tensions aux frontières avaient alimenté un esprit revanchard et alimenté toutes les théories de la conspiration qu'avaient pu inventer toutes les factions les plus extrêmes du Comité (de salut public) ». Et c'est donc dans cette atmosphère électrique – où la guillotine fonctionnait à plein régime sur les places publiques de France et où l'on défiait les royaumes voisins dans lesquels l'on voudrait porter le ferment de la Révolution et du républicanisme – que va se dessiner le destin militaire extraordinaire du fils d'un marquis désargenté arrivé quelques années plus tôt de Saint-Domingue.
Avec Dumas, le comte noir, Tom Reiss a réussi un récit complet sur le génie du général Dumas. On le voit traverser son époque dans ses aspects politique, social et culturel. Arrivé en France à quatorze ans, le jeune métis va mener à Paris une vie d’aristocrate avant de prendre l'uniforme militaire dans les dragons de la reine. Promu général de brigade dans l'armée du Nord grâce à ses exploits, un mois plus tard, il devient général de division et a dix mille hommes sous ses ordres. « En moins d'un an, le simple brigadier des dragons s'était hissé dans les sphères les plus élevées de la hiérarchie militaire. »
Il faut dire que le général Dumas était une force de la nature dont les exploits étonnaient et suscitaient l'admiration de ses pairs et des historiens français et anglais. Il séduisait tout le monde ; y compris Bonaparte qui cependant n'aimait guère son franc-parler et son républicanisme inébranlable. Et pourtant, c'est cet homme craint et respecté – que les Egyptiens croiront être le vrai patron de l'expédition menée par Bonaparte sur leur terre, tellement il les impressionnait – c’est cet homme que la jalousie et la haine implacable du bonapartisme va enfouir sous ses institutions ouvertement racistes dans le seul but de l'effacer, en même temps que tous ceux de sa race, de la mémoire collective des Français.
On ne peut qu'être reconnaissant au journaliste et écrivain Tom Reiss d'avoir consacré quelques années de sa vie à marcher pour ainsi dire dans les pas du général Alexandre Dumas et rassemblé ici les témoignages de l'Histoire qui éclairent à la fois l’œuvre du fils et l'institution du racisme comme système de gouvernement et d'éducation en France. Il permet de comprendre pourquoi, à toutes les époques, les hauts dignitaires de la République ont pris soin d'éviter le nom du général Alexandre Dumas. En embrassant leur fonction, tous apprennent que la réhabilitation de ce glorieux général équivaudrait à la reconnaissance de la permanence du racisme institutionnalisé par Bonaparte. Ce serait aussi avouer que le héros du Caire était bien Alexandre Dumas et non point l'homme blanc immortalisé par le peintre Girodet. Les preuves du racisme institutionnalisé que nous livre l'auteur font parfois froid dans le dos ! Il faut savoir son calme garder pour terminer cette éblouissante biographie qui nous montre à quel point la France d’aujourd’hui est très loin de ses idéaux républicains nés de la Révolution.
Raphaël ADJOBI
Titre : Dumas, le comte noir. Gloire, Révolution, Trahison : l'histoire du vrai comte de Monte-Cristo, 363 pages (471 pages avec les notes, la bibliographie et les remerciements).
Auteur : Tom Reiss
Editeur : Flammarion 2013.