Esclavage et réparations, comment faire face aux crimes de l'histoire (Louis-Georges TIN)
Esclavage et réparations
Comment faire face aux crimes de l'histoire...
Voici le livre que je recommande spécialement aux Afro-descendants et à la diaspora africaine. Un livre à lire absolument pour avoir des arguments contre ceux qui veulent tourner la page du passé esclavagiste de la France sans avoir jamais rien lu venant des victimes et de leurs descendants. Un livre au ton franc, susceptible de galvaniser les peuples noirs épris de justice. Nos compatriotes blancs peuvent également le lire s'ils sont vraiment désireux de comprendre nos frustrations et nos profondes aspirations.
En France, un constat écœurant est évident : à la radio, à la télévision, dans les journaux, dans les discours politiques, les Blancs parlent aux Blancs. Partout, on ne lit que cette totale indifférence empreinte de mépris à l'égard de la France noire. Quant aux sentiments et aux pensées des Noirs, ce sont encore les Blancs qui les expriment. De Jean-Marie Le Pen à François Hollande en passant par Nicolas Sarkozy, la France blanche clame haut et fort qu’elle est contre la repentance concernant les crimes de l'esclavage et de la colonisation. Mais quelle voix noire a-t-on entendue réclamer la repentance pour que ces hommes politiques en fassent leur fonds de commerce ou leur bouclier national contre les Noirs ? Quel homme noir a réclamé, dans quelque assemblée du pays, une telle chose de la communauté blanche française ? Personne ! Jamais aucun officiel noir n'a publiquement réclamé cela.
La réalité, c’est que les Blancs nous prêtent des sentiments et en discutent entre eux. Jamais ils ne prennent le temps de nous demander ce dont nous souffrons au sein de notre commune nation. Ne nous écoutant jamais, ils ne risquent pas de nous entendre dire où nous avons mal. Notre passé que leurs ancêtres ont contribué à briser les indisposerait-il au point de ne pas daigner voir nos souffrances qui en découlent ?
L'objet du livre
Voici le livre qui parle de ce passé lourd et des débats qu'il a suscités à travers plus de deux siècles. Oui, le débat sur les réparations - et non sur la repentance - ne date pas de la fin du XXe siècle ou de ce début du XXIe siècle. Louis-Georges Tin a eu l'excellente idée de nous faire parcourir les discours, les différents points de vue qui ont nourri et nourrissent encore ce débat deux fois centenaire.
Peut-on demander des réparations pour un crime contre l'humanité vieux de deux siècles ? Oui ! Même quand le crime est vieux de mille ans, c’est encore possible ! Lisez ce livre et vous comprendrez que les humains sont partout clairs sur ce principe. Le seul problème, c'est que malgré cette universelle unanimité, partout, il faut se battre pour obtenir ces réparations. Et seuls les imbéciles baissent les bras.
Vous découvrirez grâce à ce livre les multiples marques d'hypocrisie, de malhonnêteté et même de perversion de la France à l'égard de tout ce qui touche aux peuples noirs. Vous découvrirez que les politiques français - tous blancs - qui refusent que l'on parle de réparation sous quelque forme que ce soit concernant l'esclavage ou la colonisation n'ont jamais jugé injustes les réparations dont la France a bénéficié des mains des Allemands après chacune des deux grandes guerres. Alors que la construction d'Israël a été financée par l'Allemagne en guise de réparation, la France a renvoyé ses anciens combattants originaires des colonies mourir dans la misère chez eux. Vous découvrirez que seule la France refuse d'honorer l'universelle obligation des réparations quand il s'agit des Noirs ; montrant ainsi à quel point ses institutions sont gangrenées par le racisme.
Alors qu'aux Etats-Unis et ailleurs le débat sur les réparations est chose courante au point où des résultats continuent d'être obtenus après bientôt deux siècles d'abolition de l'esclavage, la France refuse de regarder son passé en face et n'a jamais fait un seul pas pour se réconcilier avec sa population noire. Sans doute parce que le passé criminel de la France est plus lourd que celui de toutes les autres nations. En effet, elle est le seul pays au monde qui, après avoir aboli l'esclavage, a demandé aux esclaves de verser de l'argent aux colons en guise de perte de leurs biens qu'ils étaient ! Ainsi, de 1825 à 1946, elle a obligé Haïti à verser à la Caisse des dépôts et consignations « la somme de 150 millions de francs, destinée à dédommager les anciens colons ». Dans ces conditions, Haïti ne peut qu’être très en retard par rapport à sa voisine espagnole Saint-Domingue.
La France est donc la seule nation au monde qui, face à un crime contre l'humanité, non seulement indemnise les criminels mais oblige les victimes à prendre en charge cette indemnisation. Et c'est cette même France qui est la seule à crier sur tous les toits – avec des arguments fallacieux que vous découvrirez en lisant ce livre – que des réparations concernant l'esclavage sont impensables parce qu'impossibles.
L'image que l'on retient de ce livre est celle des esclaves libérés mais abandonnés à leur sort. Libérés parce que l'on a reconnu le mal qui leur a été fait. Mais jamais justice ne leur a été rendue. Ils ont été renvoyés des champs, donc des terres. Se retrouvant sans terre et sans aucun bien, la République française leur demande tout de même de rivaliser avec les Blancs qui ont engrangé durant des siècles des fortunes en exploitant leur force. Comment des êtres démunis peuvent-ils rivaliser avec ceux que leur travail a enrichis et qui ont tout gardé ? Comment la République peut-elle les déclarer égaux si elle ne donne pas à l'ancien esclave les moyens de rivaliser avec son ancien maître ? Sans aucune forme de réparation de l'esclavage qu'elle a pourtant reconnu être un crime contre l'humanité, la République française demeurera à jamais une république inégale et injuste !
Raphaël ADJOBI
Titre : Esclavage et réparations, comment faire face aux crimes de l'histoire..., 167 pages.
Auteur : Louis-Georges TIN (Président du CRAN)
Editeur : Editions Stock, 2013.