J'irai cracher sur vos tombes (Boris Vian)
J’irai cracher sur vos tombes
(Boris Vian)
Voici un classique de la littérature française qui n’a rien à voir avec la littérature française parce que son auteur l’a voulu ainsi. D’abord, le style rappelle étrangement celui des grands auteurs américains de romans policiers. Boris Vian parle lui-même de « l’influence extrêmement nette de Cain […] et celle également des plus modernes Chase et autres supporters de l’horrible ». Ensuite, l’histoire est celle d’un Américain dans les Etats-Unis de la première moitié du XXe siècle. Enfin, pour convaincre le lecteur que le style et le sujet ne peuvent être maniés avec justesse que par un Américain, Boris Vian a pris soin de publier ce livre sous un pseudonyme qui n'a rien de français : Vernon Sullivan.
C’est un récit étrangement provocateur, palpitant et sobre à la fois que nous propose l’auteur. Un récit qui nous livre une page singulière du racisme et d'un de ses effets secondaires tout aussi singulier.
Puisqu’il est reconnu aux Etats-Unis que l’on est Noir quand on a une goutte de sang noir, Lee Anderson va revendiquer sa négritude et profiter de sa peau blanche pour venger sa « race ». Dans ce sud des Etats-Unis au racisme excessif où les Noirs risquent quotidiennement leur vie, son grand frère – dont la peau métissée ne passe pas inaperçue – lui conseille plutôt d’oublier la vengeance et de se fondre dans la société des Blancs. « Toi tu as une chance, tu n’as pas les marques », lui dit-il.
Lee Anderson va se fondre dans le monde des Blancs, sans cependant jamais oublier la vengeance qu’il porte dans son cœur. Avec sa voix particulière qui trouble ses amis blancs et les notes de musique qu’il arrache à la guitare, il s’applique à séduire toutes les filles blanches qui croisent son chemin. Quelle félicité pour un jeune homme de vingt-six ans ! Cependant, quand il pense aux siens, il sent « le sang de la colère, (son) bon sang noir, déferler dans ses veines et chanter à (ses) oreilles ». Et il se dit alors qu’il ne faut pas qu’il abandonne son projet. Il ne faut pas qu'il cède à cette humilité abjecte, odieuse que les Blancs ont donnée aux Noirs, peu à peu, comme réflexe. Les Noirs sont trop honnêtes ; c'est ce qui les perd.
Mais coucher avec toutes ses amies blanches – surtout les deux sœurs qu’il vient de séduire et qui sont si différentes – n’est pas l’objectif final de Lee Anderson. Non. Contrairement à ce que l’on pourrait croire, notre homme n’est pas un dépravé cynique voulant seulement copuler avec toutes les filles blanches qu'il rencontre pour pouvoir leur crier à la fin : « le nègre vous a bien eues ! » Non. L’objectif final de Lee Anderson est, en un sens, un peu plus noble que cela. Et froidement, il va le poursuivre.
Raphaël ADJOBI
Titre, J’irai cracher sur vos tombes, 209 pages.
Auteur : Boris Vian
Editeur : Christian Bourgois Editeur, Collection 10/18, 1973