Faut-il se ressembler pour s'assembler ? (Nicole Lapierre)
Faut-il se ressembler pour s’assembler ?
(Nicole Lapierre)
Faut-il se ressembler pour s’assembler ? est une réflexion, en plusieurs étapes, que Nicole Lapierre a menée autour d’un fait qui a marqué son enfance. Quand elle n’avait que six ou sept ans, elle s’est brouillée avec sa meilleure amie. La mère de celle-ci lui avait alors lancé : «vous êtes toutes les deux juives, vous devez être amies, vous devez vous serrer les coudes». Avec ce livre, l’auteure voudrait dire à la mère de son amie qu’elle avait tort de lier si intimement identité et solidarité au point de faire de l’amitié un devoir. Très rapidement, elle nous fait comprendre comment, en se référant presque toujours aux liens biologiques au sein d’une famille, les groupes sociaux, les partis politiques et les populations d’un même pays, d’une même région ont, à travers les siècles, mis en place des mécanismes d’exclusion des populations minoritaires.
Un livre à la fois agréable et passionnant dont la clarté des multiples chapitres ou thématiques qui le composent oblige le lecteur à former régulièrement son propre jugement. Un livre qui s’appuie sur le passé de l’Europe pour nous permettre de saisir - au-delà de l’implacable évidence de la formule «qui se ressemble s’assemble» - la permanence d’une pratique qui devrait rendre chacun vigilant et les gouvernants plus attentifs aux besoins de « ceux perçus comme étrangers ou différents, en raison de leur origine, de leur religion, de leur couleur de peau ou de leur apparence». Mais, comme nous le savons tous, et comme le dit si bien François Durpaire, «s’il n’y a pas une spécificité française du racisme, il y a une spécificité de sa négation». En effet, il n’est pas rare de voir nos gouvernants tantôt céder à la pratique de l’exclusion au nom de la laïcité - parce qu’obsédés par la différence - et tantôt récuser cette différence visible, toujours au nom de la laïcité. Nicole Lapierre constate – et nous sommes de son avis – que parce que «le modèle républicain, fondé sur l’égalité formelle des citoyens, refuse toute distinction», nos gouvernants demeurent aveugles sur la différence et donc «aveugles aux injustices fondées sur la couleur de la peau ou sur tout autre signe de différence visible». Ils ne doivent cependant pas oublier, rappelle-t-elle, qu’ «il ne peut y avoir d’intégration réussie que si la promesse d’égalité est tenue».
Après avoir lu ce livre, on ne peut pas s’empêcher de réfléchir sur le fait que, quand on parle de la République, il serait bon de savoir d’où elle est partie, le chemin qu’elle a parcouru pour se permettre aujourd’hui de dire que c’est elle qu’on défend, que c’est en son nom qu’on agit. A ceux qui manient avec beaucoup de dextérité le curseur très aléatoire de la laïcité, nous adressons ces mots de Simone de Beauvoir qui rejoignent l’esprit du livre de Nicole Lapierre : «C’est du point de vue des chances concrètes données aux individus que nous jugeons nos institutions» et non du point de vue de l’idée parfaite que nous en avons.
Raphaël ADJOBI
Titre : Faut-il se ressembler pour s’assembler, 209 pages.
Auteur : Nicole Lapierre
Editeur : Seuil