L'audace de Madagascar contre le coronavirus révèle l'incurie des gouvernants africains (Raphaël ADJOBI)
L’audace de Madagascar contre le coronavirus
révèle l’incurie des gouvernants africains
et le chemin restant à parcourir vers l’indépendance
Le monde retiendra qu’en avril 2020, à la faveur de la pandémie du coronavirus, le président de la République de Madagascar a pris officiellement la décision de s’affranchir des règles contraignantes de l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) en mettant sur le marché local une tisane à base de l’artemisia – une herbe dont le pays est le premier producteur mondial - pour lutter contre ce fléau qui menace son pays. Cette volonté du dirigeant malgache d’agir sans attendre le fameux vaccin promis par les officines européennes a fait l’effet d’une bombe sur le continent et dans la diaspora africaine. En effet, depuis 60 ans, c’est la troisième fois – après Sékou Touré et Laurent Gbagbo - qu’un gouvernant africain francophone, décide de ne pas tenir compte des injonctions venues de l’Europe, brisant ainsi la traditionnelle «relation nord-Sud» ; relation dans laquelle le Nord commande et le Sud obéit. Et cette fois, chose extraordinaire – parce que jamais survenue sur le continent – des dirigeants africains félicitent leur homologue rebelle et lui assurent publiquement leur soutien !
Cette soudaine manifestation de solidarité de gouvernants africains avec l’un des leurs est en effet un événement absolument inédit dans l’histoire politique de l’Afrique ! Alors qu’ils ont fait preuve d’un mutisme total au moment de la destitution de Laurent Gbagbo par la France à coups de canon en avril 2011, il est heureux de constater que c’est individuellement que des présidents africains félicitent leur homologue qui désobéit à une institution internationale. Bien sûr, il n’y a pas cette fois de conflit institutionnel autour d’une place au sommet de l’État en jeu ; et par conséquent pas d’intérêt particulier de la France menacé. Mais cette ébauche d’une cohésion africaine face à l’unilatéralisme méprisant occidental habituel mérite d’être saluée.
Toutefois, devant cette victoire de Madagascar acquise grâce à l’audace de son président, il convient de noter que ce fait révèle de manière notoire l’incurie des chefs d’État africains. Il suffit pour le prouver de rappeler la mémoire de ces nombreux médecins morts dans le silence ou l’indifférence absolue de leurs autorités trop peureuses face à l’arrogance de la France, des ONG européennes et autres organismes mondiaux comme l’ONU, la CPI et l’OMS. Le tort de ces médecins ? Vouloir tout simplement trouver une solution africaine aux maux africains, indépendamment des vaccins, des produits pharmaceutiques européens, chinois et indiens qui tuent plus qu’ils ne soignent ! Ainsi, le docteur Dieudonné Manenga, du Congo-RDC, qui proposait un remède à base de l’artemisia contre le paludisme, a été assassiné à son domicile le 16 septembre 2019. Toujours au Congo-RDC, le gynécologue Gildo Byamungu – compagnon de lutte du Docteur Denis Mukwege, prix Nobel pour son travail auprès des femmes violées - a été assassiné le 14 avril 2017 suite à de nombreuses menaces de mort. Au Gabon, le docteur Donatien Navoungou, inventeur d’une solution contre le sida et le cancer est retrouvé mort dans une chambre d’hôtel le 4 février 2020. Le docteur Debio – tradipraticien sénégalais – est mort pendant sa garde à vue le 8 septembre 2016. Quant au jeune chercheur Jérôme Munyangi – l’homme qui permet aujourd’hui à Madagascar de braver l’Organisation Mondiale de la santé - les autorités d’hier et d’aujourd’hui du Congo-RDC ne peuvent prétendre ignorer son combat contre les firmes pharmaceutiques européennes qui s’opposent violemment aux recherches sur l’artemisia et surtout l’usage de cette plante médicinale dans le traitement du paludisme ! Elles ne peuvent pas ignorer l’existence du documentaire attestant que pour ce combat le jeune médecin congolais a été empoisonné ! Comme le dit le docteur Jérôme Munyangi lui-même, «lorsque vous arrivez à être cité par l’Organisation mondiale de la santé (OMS), cela veut dire que vous avez touché à un point sensible de la santé mondiale». Et il ajoute : «Je suis le seul médecin noir sur qui une académie de savants et de prix Nobel a siégé pour interdire les recherches». Les autorités du Congo-RDC ne peuvent pas ignorer ce chapitre de son histoire ! Le docteur Jérôme Munyangi poursuit en ces termes : «J’ai proposé le protocole à la RDC, au ministre de la santé… Aucune réponse. Après, j’ai adressé le protocole au Conseil scientifique de la RDC… aucune réponse ; alors que dans les médias du pays on vantait les mérites de ce Conseil scientifique. Nous avons écrit au prix Nobel Docteur Denis Mukwege qui, trouvant nos travaux très intéressants, nous a renvoyés auprès du Conseil scientifique congolais. Il n’y a pas eu de suite favorable à ce contact». On croit rêver, n’est-ce pas ? Surtout quand on sait comment finit l’histoire.
Non seulement l’Afrique ne protège pas ses enfants
mais elle est incapable de reconnaître leur valeur
Parce qu’il a créé un groupe de 450 chercheurs constituant le «Manifeste du Monde Médical Africain», le jeune médecin congolais est passé à la vitesse supérieure dans la recherche d’un champ d’application de son projet : «Je me suis alors adressé à mes collègues chercheurs pour contacter les autorités sanitaires des 5 pays suivants : la République Centrafricaine, le Burkina, le Ghana, Madagascar, le Rwanda. Nous les avons contactées avec le même courriel et le même protocole… et c’est Madagascar qui a mordu à l’hameçon !» Les choses sont donc bien claires : alors que les Européens ont des espions pour traquer les indésirables, les ennemis de leurs politiques, les pays africains ne disposent pas d’espions pour détecter ne serait-ce que les Noirs «désirables» qui leur permettraient d’accomplir leur indépendance ! Et même quand des talents singuliers leur sont signalés, ils prennent soin de les ignorer pour ne pas déplaire à leur maître blanc qui - grâce à ses armées placées partout sur le continent - veille sur eux afin qu’ils ne s’affranchissent pas de ses lois. On ne pouvait qu’avoir honte pour le président du Congo-RDC, en le voyant en vidéo-conférence féliciter le président malgache ! Il était presque risible. Apparemment, dans son pays, rien ne remonterait de ses populations jusqu’à lui ! Le pauvre homme ! En réalité, lui comme les autres dirigeants africains préfèrent continuer à jouir des miettes que leur accordent les puissances étrangères plutôt que de se lancer dans l’aventure pour se forger leur propre avenir. Or, tout humain qui construit sa vie ou celle de sa nation sur cette base craintive fait preuve d’une absence totale de dignité. Ce qui explique d’ailleurs le peu de considération que les autorités européennes accordent à leurs homologues africains.
Concluons par cette observation faite par l’Historienne suisse Aline Helg (Plus jamais esclaves ! Édit. La découverte, 2016) à propos des rébellions des esclaves noirs dans les Amériques entre le XVIe et le XIXe siècle. Elle a remarqué que presque toutes les révoltes collectives d’envergure des esclaves noirs se produisaient au moment où il y avait des rapports conflictuels dans les sociétés coloniales ou entre les différents royaumes européens dont dépendaient les colonies. C’est ainsi que profitant des oppositions nées en France entre royalistes et révolutionnaires en 1789, «en août 1791, pour la première fois dans les Amériques, des milliers d’esclaves […] réalisèrent en quelques semaines une partie du scénario tant redouté par les élites depuis le XVIe siècle : la destruction des lieux de travail ainsi que le massacre des colons [à] Saint-Domingue». Evénement qui va pousser la France à abolir l’esclavage une première fois en 1794. Treize ans plus tard, ce scénario avait abouti et avait permis la fondation de Haïti, la première république noire du monde. Cette expérience montre qu’il faut savoir profiter des occasions où le maître laisse apparaître des signes de faiblesse pour s’affranchir du joug de l’esclavage. Aujourd’hui, au moment où les Européens ont fermé leurs frontières et sont occupés à compter leurs morts, il faut savoir faire preuve d’audace. D’ailleurs Aline Helg fait remarquer aussi que les colons des Amériques refusaient d’acheter aux négriers des captifs africains issus de certaines contrées d’Afrique parce qu’ils étaient d’une «insolence incontrôlée». Oui, le Blanc n’a peur que de l’insoumis à qui il finit toujours par accorder de la considération. Mais l’insoumis a besoin de la solidarité des siens.
Raphaël ADJOBI