Le feu des origines (Emmanuel Dongala)
Le feu des origines
(Emmanuel Dongala)
N’est-il pas vrai que nous convenons tous, au regard de nos connaissances actuelles, que l’Afrique est le berceau de l’humanité ? Alors lire Le feu des origines c’est découvrir comment l’homme est apparu sur ce continent, comment il a évolué dans les premières sociétés jusqu’à sa rencontre avec son lointain descendant se disant Blanc. Pour réussir le récit de cette évolution de l’homme, Emmanuel Dongala prend à rebours l’annonce de la naissance divine de Jésus, conçu dans la virginité de Marie ! On assiste alors à un vrai chemin de croix du héros. Une belle fiction d’un pan de l’histoire de l’humanité qu’il convient de découvrir sous l’angle du regard d’un Africain pétri par les récits de sa terre natale.
Au commencement des sociétés humaines, à l’image de Jésus, le héros du récit comprend – en cherchant la puissance qui se cache derrière les choses – que « pour construire, il faut détruire. […] et qu’ il faut souvent partir pour mieux revenir ». En effet, la personnalité de Mankunku bouscule les habitudes séculaires que son clan veut maintenir immuables quand bien même ces habitudes froissent terriblement certains individus. Pour lui, les choses sont claires : « entre préserver ce qui nous est commun et se soumettre aveuglément à des ancêtres morts, il y a quand même une grande marge ». Il choisira donc ce qui peut préserver et nourrir le présent plutôt que la soumissions au passé. Belle réflexion à méditer par les Français blancs accrochés à des certitudes et aux statues de quelques ancêtres comme des moules à leurs rochers.
D’ailleurs, aucune société ne vit indéfiniment repliée sur elle-même. Un jour où l’autre, une jonction s’établit avec un peuple inconnu. Et c’est ce qui se produit quand des hommes rouges débarquent avec la ferme volonté de coloniser la terre du clan de Mankunku. Ces hommes recrutent des miliciens parmi les ethnies soumises et entreprennent d’étendre leur domination en terrorisant les populations pour obtenir d’elles une matière qui semble avoir une très grande valeur à leurs yeux : le caoutchou ! Parce que la vie de tout le monde était entièrement consacrée à la récolte de ce produit, les femmes n’avaient « plus le temps de cultiver le manioc, les arachides ou les ignames » nécessaires à l’alimentation de la famille. Partout, l’administration de l’étranger rouge n’avait qu’une solution à toutes les situations qui se présentaient : la force, la violence ! Bientôt, les étrangers apprennent au clan de Mankunku que tous font partie de leur pays appelé la mère patrie et qu’ils doivent aller la défendre. C’est ainsi que les populations africaines accompagneront les Français sous tous les cieux pour défendre leurs intérêts. Puis, un autre jour, on les couvrit de médailles et on leur annonça « l’indépendance ». Mankunku ne vit pas la différence. Il était alors temps pour lui de se demander ce qu’il pourrait attendre de cette Afrique dite traditionnelle qui semblait être une « société dont l’idéal était sa propre perpétuation ».
Emmanuel Dongala signe ici un récit magnifique que les enseignants – et tous ceux qui veulent avoir une idée précise de la colonisation – doivent lire pour apprécier la magnifique démonstration de puissance de l’Européen sur le continent africain, grâce aux armes à feu. Mais il laisse aussi croire au lecteur que les Africains postcoloniaux – comme ceux d'avant la colonisation – sont condamnés à se battre contre certaines traditions qui les empêchent de prendre leur envol. En effet, ils sont obligés de se répéter que entre préserver ce qui leur est commun et se soumettre aveuglément à des pratiques qui bafouent la liberté de chacun de vivre avec qui il veut, il y a quand même une grande marge. Le feu des origines apparaît donc comme une histoire de l’humanité qui semble un éternel combat.
Raphaël ADJOBI
Titre : Le feu des origines, 292 pages.
Auteur : Emmanuel Dongala
Editeur : Actes Sud, 2018 (Première publication, 1987, Albin Michel).