Le travail et la colonisation selon le capital et le politique
Le travail et La colonisation
selon le capital et le politique
(Réflexion)
Dans les discours des grands dirigeants d’entreprise comme dans ceux de nos hommes politiques, il y a une immuable cohérence dans leur vision du monde quand il est question du travail et de la colonisation. Et cette minorité s’arroge le droit incontesté d’imposer à la grande majorité des citoyens et même du reste de l’humanité sa manière de voir le réel qui n’est pourtant pas la vérité. En effet, le réel est souvent trompeur.
Quand Madame Christine Lagarde clame « (qu’) on ne peut raisonnablement encourager le travail et prôner la taxe sur les grandes fortunes », elle laisse croire à tout le monde que ceux qui s’enrichissent sont ceux qui travaillent. Or, hier comme aujourd’hui, on a vu et on voit dans les entreprises des millions de personnes travailler et mourir éreintées sans jamais avoir connu la richesse. En clair, ceux qui travaillent pour le capital ou que le capital fait travailler ne sont pas ceux qui s’enrichissent. Ce sont ceux qui travaillent qui enrichissent le capital !
Dans l’esprit des chefs d’entreprise, la notion de travail est intimement liée à l’argent et à son investissement. D’où chez eux l’usage courant de cette formule consacrée : « faire travailler son argent ». En d’autres termes, quand les riches et autres grandes fortunes parlent de travail – mis à part ceux qui ont été les initiateurs de leur société, donc les entreprises familiales – ils parlent de l’investissement financier ou de la rente à faire fructifier. C’est donc cette notion de travail que les chefs d’entreprise aussi bien que les hommes politiques manient à longueur de journée au point de laisser croire aux ouvriers et aux paysans qu’ils sont paresseux parce qu’ils ne parviennent jamais à amasser une grosse fortune. C’est cette valeur qu’ils confèrent à l’argent et à son investissement qui leur donne cette profonde conviction qu’ils sont les meilleurs dans le travail. Ce qui explique pourquoi le célèbre parfumeur Jean-Paul Guerlain s’est permis de dire, avec beaucoup d’arrogance, qu’il ne savait pas si les nègres ont beaucoup travaillé comme lui ; et cela en rappelant la formule « travailler comme un nègre » qui renvoie bien sûr à l’esclavage des Noirs. Il était clair pour lui comme pour tous ses pairs que son travail a été et est supérieur en intensité et donc en énergie dépensée par rapport à celui d’un esclave noir.
Pour madame Christine Lagarde, monsieur Jean-Paul Guerlain et leurs amis politiques et financiers, l’idée de travail n’inclut pas la force humaine de l’esclave, de l’ouvrier, de l’employé. Et ils ont réussi à convaincre leurs compatriotes qu’ils sont riches parce qu'ils travaillent beaucoup et aussi que eux ne le sont pas parce qu'ils ne travaillent pas assez. C’est pourquoi cette catégorie de personnes peut nous lancer au visage : « il faut travailler plus pour gagner plus ! »
Les hommes politiques héritiers d'une conscience coloniale dépassée
Puisqu'elle est convaincue que c’est le capital et son détenteur qui travaillent et non pas la main d’œuvre, on ne s’étonnera pas d’entendre cette élite héritière des idées des siècles de la suffisance absolue des nantis continuer à croire que l’esclavage des Noirs est un partage de culture et la colonisation des peuples lointains un bienfait pour l’humanité. En ce XXIe siècle où l’opinion publique nationale prône la fraternité et une meilleure égalité de traitement moral avec les autres peuples de la terre, voir cette élite politique et financière s’accrocher aux vestiges de la pensée aristocratique et bourgeoise du passé est tout à fait sidérant.
Pour ces héritiers des temps anciens, les idées sont autant de patrimoines aussi immuables que les châteaux. Qualifier la colonisation de crime contre l’humanité passe chez eux pour un crime contre la conscience qu'ils ont de notre histoire coloniale et les pousse à exiger des excuses nationales. Combien ce fut rafraîchissant et réjouissant d’entendre un jeune homme politique à qui cette exigence a été faite adresser une cinglante mise au point à ces défenseurs de l’honneur du colonialisme français. Cet homme a officiellement et solennellement qualifié de dépassées les considérations de cette catégorie de personnes qui entretiennent la définition du colonialisme comme un moyen idéal de civilisation. Pour lui comme pour nous, notre époque de communication et d’échanges fraternelles ne peut se permettre de poursuivre l’affirmation de la supériorité d’une civilisation sur une autre et par voie de conséquence l’affirmation des bienfaits de la colonisation. Pourquoi donc nous érigerions-nous contre les pays qui, de nos jours, envahissent des territoires voisins ou lointains pour y installer leur loi si, nous Français, estimons que cette pratique apporte des bienfaits et mérite d’être enseignée et encouragée ?
Nous pouvons croire que personne n’est prêt à accepter que soient enseignés parmi nous les bienfaits de la colonisation de la Gaule par les Romains. La Palestine et Israël enseignent-ils les bienfaits de l'occupation romaine ? Et nous, sommes-nous prêts à trouver des bienfaits à l’occupation de notre pays par les nazis et à les enseigner ? Pourquoi avons-nous combattu l’occupation et la tentative de colonisation de la France par les Allemands si nous voyons dans cette pratique des bienfaits ?
Il est temps que certains cessent de s’accrocher à des idées révolues. Nous ne pouvons pas aujourd’hui continuer à voir l’autre avec les yeux du XVIIIe ou du XIXe siècle. La conception de l’autre par le peuple français a évolué parce que le regard que nous portons sur l’autre a changé. Aujourd’hui, nous avons le devoir de respecter davantage la différence de l’autre parce que notre connaissance de sa culture est beaucoup plus grande même si nous savons qu’elle sera toujours imparfaite.
Raphaël ADJOBI