Entretien avec Shlomit Abel
(auteur du blog RésistanCIsraël)
Je poursuis ma série d'entretiens avec, pour la première fois, une blogeuse. Il faut avouer qu'elles ne sont pas légion sur le net. Je vous invite donc à découvrir Schlomit Abel qui tient le blog "RésistanCIsraël" résolument tourné vers les actualités ivoiriennes.
1. Qui est Shlomit Abel, derrière le blog "Résistancisraël" ?
Shlomit est une femme de 55 ans qui est montée de France en Israël il y a 17 ans, avec un époux, Eliahou Abel, et 4 enfants. C’est une aventure de foi et d’obéissance, un peu folle aux yeux de beaucoup, qui nous a poussés, mon mari et moi à nous solidariser d’Israël et du peuple juif, au point de vouloir être partie prenante de son destin, il y a plus de 26 ans de cela ; un chemin d’obéissance qui nous a poussés à faire des choix difficiles, familialement, socialement, culturellement, financièrement.
2. Pourquoi appeler "Résistancisraël" un blog totalement dévoué aux actualités ivoiriennes ?
J’ai eu l’idée du Blog, Eliahou celle de son nom : résistanCIsraël ; c’est un seul mot, avec la Côte d’Ivoire « CI » au centre ; la résistance, pour moi à l’époque c’était le mot gravé par la huguenote Marie Durand dans le roc, pendant sa captivité de 38 ans (trente-huit ans !) à la « tour de Constance » d’Aigues-Mortes : une résistance que rien ni personne ne peut écraser ; elle ne dépend pas des hommes, c’est une attitude, on peut être libre, même dans les chaînes, parce que le pire dictateur ne pourra pas m’empêcher de penser, de prier, de m’élever, alors qu’il ne souhaite que m’écraser, m’anéantir...
Israël, c’était notre point d’ancrage ; “Pour que triomphe la vérité, et que de Sion soit béni, consolé et fortifié tout le peuple ivoirien”, dit l’en-tête du blog. ResistanCIsraël, c’est la Côte d’Ivoire dans sa vocation de résistance à l’oppresseur, adossée à Israël, au Dieu d’Israël.
Bien sûr, dans mon esprit, ce blog était destiné d’abord à mes amis et connaissances, chrétiennes et juives, en France et en Israël. Ce bouleversement que j’ai connu, que j’ai communiqué à Eliahou, que nous avons vécu ensemble quand la France a bombardé le palais de SEM Laurent Gbagbo, je pensais naïvement que d’autres personnes le partageraient, partageraient le même cheminement, et que ce blog s’adresserait prioritairement aux occidentaux désireux de s’informer. En fait, il est plus visité par les africains que par les blancs. Deux fois j’ai publié un article sur un site francophone israélien que j’avais écrit pour les ivoiriens, mais je ne le ferai plus. S’il y a eu quelques réactions neutres, voire positives, l’ensemble était tellement hostile, méprisant, tellement absurde, qu’il m’a fallu trois jours pour m’en remettre.
3. Qu'est-ce qui pousse une non-ivoirienne ne résidant pas dans le pays à s'impliquer à ce point dans le combat de la "Résistance ivoirienne" ?
La Côte d’Ivoire s’est imposée à moi, à nous, aussi radicalement qu’Israël, 25 ans plus tôt ! La découverte d’une amie de France, très branchée sur Israël, puis brusquement fiancée à un camerounais vivant à Abidjan, m’a poussée à faire des recherches sur la Côte d’Ivoire à l’automne 2010. C’est aussi à cette période, que j’ai eu des échanges très féconds avec un “journaliste” du Nouveau Courrier, l’unique ivoirien que je “connaissais” et qui a été le témoin de ces bouleversements que je vivais ! Cet ami a disparu dans la tourmente du 11 avril 2012 ; je l’ai retrouvé quelques semaines plus tard, il m’a écrit rapidement qu’il était à l’abri, en exil ; je lui ai écrit quelques fois, et puis je ne voulais pas le mettre en danger en communiquant avec lui, parce que je pense que nous sommes un peu surveillés,... et puis maintenant, beaucoup de choses sont censurées, même ici en Israël, dernière en date, l’hymne d’Éburnie qui a disparu de notre blog!
Mon implication dans ce combat n’est pas le seul fait de ma volonté, c’est une cause qui m’est tombée dessus, croyez moi ! Rien ne me prédisposait à l’épouser. L’hébreu, bien que nous le comprenions et le parlions, n’est pas notre langue maternelle ; il reste difficile pour nous d’exprimer en hébreu nos convictions, nos attentes, nos nuances... avec la Côte d’Ivoire nous retrouvions le bonheur de pouvoir communiquer dans notre langue, celle de nos origines et celle comprise de tous les Ivoiriens !
Je n’ai jamais milité auparavant, si ce n’est pour Israël, mais jamais avec cette vigueur, cette conviction là ! En fait, c’est la justesse du combat, la personnalité du président Laurent Gbagbo, la maturité des Ivoiriens, leur réflexion, la qualité de leurs articles, leur enracinement dans la foi, qu’elle soit chrétienne ou musulmane qui m’ont mise en route.
4. Apparemment, vous avez choisi de relayer les informations que vous puisez dans des sources diverses plutôt que de publier des productions personnelles. Pourquoi ce choix ? Pourtant, votre dernière contribution à mon blog politique a retenu l'attention du Nouveau Courrier d'Abidjan. Cela ne vous incite-t-il pas à publier pour votre compte ?
S’il est vrai que la majorité des articles publiés sur le blog sont repris d’autres sources, il m’arrive assez souvent d’écrire ; chez moi c’est généralement sous la forme d’un cri du cœur quand je lis des monstruosités ; Eliahou, c’est d’avantage des articles de fond, de réflexion. Bien souvent, le site Koaci.com m’aide à sortir de mes gonds et me pousse à coucher sur le papier ma révolte ! Nos articles sont souvent relayés par d’autres sites amis, et parfois même on les retrouve sur des sites du Moyen Orient, mais pas israéliens, malheureusement ; nous sommes trop anticonformistes, et la politique israélienne étant presque totalement alignée sur celle des Etats Unis...
Nous serions en vérité très heureux, mon mari et moi, de vivre de notre plume, parce que c’est un investissement énorme, si on compte le temps passé à écrire, à sélectionner des articles, les corriger, les surligner. Parfois il y a aussi des problèmes techniques...
Si je viens d’être publiée par le Nouveau Courrier d’Abidjan, c’est vous qui me l’apprenez... Par le passé déjà, - deux fois je crois -, un article paru sur d’autres sites, avait retenu leur attention ; mais ce n’est pas le journal qui me l’a appris, ce sont d’autres blogueurs ! En fait je n’y suis pas abonnée, tout simplement parce qu’en Israël la vie est très chère, et notre situation financière loin d’être mirobolante ! Mais être relayée par le Nouveau Courrier d’Abidjan, oui c’est un honneur!
5. Que pensez-vous des blogs africains et ivoiriens en particulier ?
L’hiver dernier, au fort de la crise ivoirienne, beaucoup de blogs africains étaient solidaires de ce que j’appellerai le viol de la Côte d’Ivoire ; d’ailleurs je les remarquais souvent à cause de leur engagement aux côtés du président Gbagbo, avant de remarquer qu’ils n’étaient pas ivoiriens ! Mon premier souvenir, c’est Cameroonvoice, Lynxtogo, Ivoirebusiness… Au fil du temps, il s’est même noué une affection, sensible parfois juste par un retour, un merci chaleureux pour une contribution, des encouragements… Pareil pour beaucoup de sites ivoiriens, où des blogueurs sont devenus des amis, des confidents : regards croisés, Abidjandirect, infodabidjan, la Côte d’Ivoire Debout, les blogs français de Saper Aude et Jean Delugio. Il y en a aussi avec lesquels je n’ai aucun lien, aucun contact, peut-être se méfient-ils de moi, peut-être est-ce le fait que je sois juive, et surtout israélienne... Au delà des blogs, il y a aussi le réseau social Facebook qui fonctionne comme une plateforme d’échanges d’informations, et où se nouent beaucoup de relations chaleureuses.
6. On dit souvent que s'engager pour une cause est formateur. Pensez-vous avoir déjà tiré quelque bénéfice de votre engagement dans la "Résistance ivoirienne" ?
Oui certainement, cet engagement m’a ouvert les yeux sur une réalité insoupçonnée : celle d’un militantisme où il n’y a pas d’un côté ma vie privée et de l’autre les choix politiques. Étant bien entendu que ces choix sont déterminés moins par l’opposition droite-gauche – nous savons malheureusement ce qu’il en est, en France de la « gauche caviar », celle de BHL, de Jack Lang ou de Fabius… -, que par l’opposition vérité-mensonge, justice-injustice. Il en est de même en Israël, où, au fil des alternances politiques, ce qui ressort avant tout, ce sont des intérêts à sauvegarder, une indifférence presque totale à la pauvreté, à la misère et à l’injustice, des promesses jamais tenues, l’ajournement sans fin des mesures destinées au mieux être des populations fragiles.
Depuis que je suis entrée en résistance ivoirienne, je ne suis plus la même: j’ai découvert le mensonge, la fraude, la corruption et l’esclavage érigés en raison d’état !
La parole « Consolez, consolez mon peuple »,(Ésaïe 40) avait scellé mon engagement aux côtés d’Israël, quarante ans après la shoah, parce que j’avais besoin d’apporter ma réparation, une bien piètre contribution par rapport à tout le gâchis qui avait été commis, mais voilà je ne pouvais plus tourner les yeux vers le seul crucifié alors que j’avais découvert tout un peuple crucifié par ceux là même qui s’érigeaient en censeurs et qui lui avaient volé sa place !
« Plus jamais cela », et voilà que la France - que l’on ne peut à ce moment-là accuser d’antisémitisme puisqu’elle vient d’être victime de la barbarie nazie -, met en place le 25 décembre 1945, le franc CFA qui va plomber sans aucune chance de s’en sortir les colonies françaises d’Afrique - comme cadeau de Noël - à la sortie de ce traumatisme d’une guerre mondiale qui n’a pas épargné beaucoup de familles ; ça vous douche, et vous enlève vos dernières illusions!
Depuis que je suis enfant, un texte biblique a toujours été présent à mes côtés, c’est Michée 6, v. 8 « On t’a fait connaître ô homme ce qui est bon et ce le Seigneur demande de toi, c’est de pratiquer la justice, d’aimer le bien et de marcher humblement avec ton Dieu.» J’ai l’impression de le vivre pleinement dans mon engagement avec la Côte d’Ivoire. A travers lui, je renoue tout simplement avec mon véritable appel, celui d’être au service du Dieu Créateur et libérateur, et ce, depuis Israël qui est si important pour beaucoup d’ivoiriens. Avec eux et le président Gbagbo, j’ose le pari d’affirmer qu’avec Dieu, le Dieu d’Israël, il est possible de remporter la guerre contre le néo nazisme de l’Occident, contre cet asservissement totalement indigne d’une France qui a dévoyé des expressions aussi nobles qu’ « ingérence humanitaire », « communauté » internationale, pour désigner, comme lors de la conférence de Wannsee en 1941, en version déguisée, la plus horrible des dictatures en marche, qui déshumanise l’homme pour mieux l’avilir et le dépouiller.
Je ne suis rien, je veux simplement proclamer cette vérité qui vient de Sion, cette justice qui vient d’en Haut et qui va rétablir le peuple de Côte d’Ivoire dans son droit, lui ramener son Chef. Comme dit dans l’entête du blog, depuis Jérusalem “bénir, consoler, fortifier”, c’est mon unique ambition ; et par delà mon engagement, c’est moi qui ai été infiniment comblée dans cette quête de sens pour ma vie et celle des Ivoiriens qui veulent que justice leur soit faite, ici et maintenant.
Entretien réalisé par
Raphaël ADJOBI