Présidentielles en Côte d'Ivoire : la fin du rêve des faiseurs de miracles
Elections présidentielles en Côte d'Ivoire :
la fin du rêve des faiseurs de miracles
Le 3 décembre après 23 h, au moment où je venais de terminer mon article, c’est par courrier électronique que j’ai appris la prise en compte des réclamations du candidat Laurent Gbagbo au regard des rapports des observateurs africains envoyés dans le Nord. La victoire venait de changer de camp. Cependant, je n’ai rien changé à mon article.
La Côte d'Ivoire se croyait un pays à part, capable de réussir là où aucun pays n'a osé s'aventurer, là où même les puissances européennes ont échoué (Chypre dans "Cette main tendue qui fait de l'ombre"). Organiser des élections à visées démocratiques dans un cadre qui n'en remplissait pas les conditions, c'était assurément vouloir faire un miracle. Mon article publié avant le premier tour était très explicite sur ce point et rejoignait la sagesse du pays abouré de côte d'Ivoire qui dit que l'on ne reste pas dans une procession de fourmis magnans (carnivores) pour lutter contre leur voracité.
Pourtant, les Ivoiriens n'étaient loin de cet exploit. Les principaux candidats ainsi que les organisateurs des élections avaient minimisé les multiples fraudes de la zone des rebelles lors du premier tour. Arrivé premier, Laurent Gbagbo n'a pas jugé utile de les remettre en cause.
Le deuxième tour aurait pu corriger quelques grosses erreurs du premier et la Côte d'Ivoire aurait réussi le tour de force de réaliser la première grande élection démocratique dans un pays coupé en deux militairement et administrativement. Le miracle quoi.
Contre mon attente et mon souhait personnels, le report des voix des partisans de Bédié s'est fait correctement sur Alassane Ouattara avec qui il a signé une alliance que nous avons été nombreux à qualifier de « contre nature ». La victoire d'Alassane Ouattara était partie pour être claire, belle et démocratique. Malheureusement il n'en a pas été ainsi par la faute de ses propres partisans.
Car quoi ? Peut-on souffrir que dans une zone les élections se déroulent correctement, avec annulations des votes des bureaux jugés litigieux, et accepter les votes de la zone Nord où ont été enregistrées de multiples violences physiques et des manipulations des urnes contraires aux règles de la démocratie que l'on réclame ? Il est important que ceux qui crient à la démocratie piétinée, confisquée par Laurent Gbagbo parce qu'il refuse un tel état de chose disent où ils ont vu briller la démocratie avant sa réaction. La première chose à faire est de visionner les images, lire et d'analyser les rapports faits sur l'état des élections dans la zone tenue par les rebelles. Ceux-ci ont-ils organisé des élections démocratiques de qualité semblable à ce qui a été réalisé dans la partie sud ? NON !
Les témoignages des observateurs internationaux sont clairs sur ce chapitre. Fait important : les observateurs étrangers envoyés dans le Nord sont des Africains. Les Européens sont restés dans le sud pour ne pas avoir à subir l'animosité des rebelles. Ils ont eu raison, car les rapports venus du Nord sont accablants. Oui, ils ont affirmé publiquement au siège de la CEI, dans leur rapport officiel lors d’une conférence de presse (voir le site de la Radio Télévision Ivoirienne), que les conditions des votes « ne répondent pas aux critères d'une élection libre, transparente et équitable ». Mais, apparemment, les rapports de ces témoins oculaires semblent négligeables aux yeux des observateurs onusiens et européens qui ont jugés le déroulement des votes du Nord « acceptable ». Car, enfin, un coup de bâton par ci, un coup de pied par là, une ou deux urnes emportées puis retrouvées, séquestrer des électeurs et des observateurs étrangers, refuser la présence d'observateurs, dénuder une femme et la battre pour faire fuir les autres électeurs, tout cela reste quand même démocratique dans un pays de Nègres ! Allons ! Il ne faut pas être trop regardant !
Même le journal La Croix, aux articles habituellement pro Alassane Ouattara rapporte fidèlement les propos des observateurs africains qui ont conclut que les élections dans la zone Nord étaient "injustes" et inacceptables. Et si, comme le rapporte ce journal dans son édition du 1er décembre 2010, plusieurs ambassadeurs occidentaux ont tenté de convaincre le président Gbagbo d'accepter le vote des Ivoiriens parce que « les irrégularités constatés ne sont pas en mesure de changer le résultat », il serait juste toutefois que les votes "irréguliers" soient écartés pour vérifier que leur annulation ne change rien au cours des choses. Ce sera ça la vraie démocratie ! En démocratie, une irrégularité reste une irrégularité ; et cela doit être vrai également pour l'Afrique.
C'est parce que Alassane Ouattara a dit que Laurent Gbagbo a été mal élu et lui injustement écarté qu'il a acheté des armes pour la guerre de 2002 comme l’affirment ses propres lieutenants de campagne (Le film sur le blog d’Obambé / voir le lien à droite sur mon blog). S'il refuse une application juste et équitable des règles démocratiques dans les deux zones, alors, c'est lui qui, cette fois, sera mal élu et s'exposera à un coup d'état militaire. Ce sont ses propres rebelles qui sans doute ayant eu peur que le report des voix de Bédié ne se fasse pas correctement ont voulu forcer sa victoire. Dommage, car sa victoire aurait été belle et démocratique.
Quant à ceux qui se disent démocrates ou amoureux de la démocratie, ils doivent se garder d'applaudir les actes anti-démocratiques. Et avant d'accuser l'autre d'antidémocrate, il convient d'analyser ses dires et ses actes à la lumière des règles démocratiques. D'autre part, si à tout moment les critiques sont permises, il me semble incorrect, absolument déplacé de la part de tout observateur étranger de publier de manière tapageuse que tel ou tel est vainqueur quand les institutions du pays concerné n'ont pas fait de proclamation officielle. Heureusement, la presse française n'est pas tombée dans cet excès.
Les populations du Sud ont voté pour Alassane Ouattara démocratiquement. Il serait bon que celles du Nord votent contre Laurent Gbagbo démocratiquement. Serait-il anti-démocratique d'exiger cela ?
° Via mon blog, vous pouvez accéder à ceux de Delugio et d’Obambé pour les images. "En finir avec les à peu près" sur Lynxtogo.info.
Raphaël ADJOBI