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Lectures, analyses et réflexions de Raphaël

25 août 2009

Visiter Amsterdam et s'instruire (suite et fin)

   Visiter Amsterdam et s’instruire (suite et fin)

            

La réaction de notre ami Ségou m’a fait comprendre que la suite de mes impressions que je n’osais livrer (peur d’être trop long) était bien nécessaire(pour descendre du vélo). La voici donc.

Un cosmopolitisme rassurant : On dit de Paris qu’elle est une ville cosmopolite. Mais quand celle-ci pèche par l’hétérogénéité des ethnies et des classes sociales de sa population, Amsterdam fait dans l’homogénéité. Mes longues marches à travers la ville ne m’ont pas mené à des quartiers plus  chinois, plus indiens ou africains. Et dans les foules des promeneurs, le mélange ethnique est encore plus frappant qu’à Paris. La diversité aussi.

Dès mon retour, le comportement de quelques groupes de jeunes noirs m’ont rappelé que je suis dans une société différente. Alors je me suis rappelé les paroles de l’écrivain Raphaël Confiant disant que la stigmatisation génère des comportements particuliers. C’est vrai !

HPIM0987

Le cosmopolitisme dans la restauration : Ici, les restaurants affichent sans complexe leur nationalité et l’on découvre ainsi des noms que l’on aura du mal à trouver ailleurs dans l’art de la table : péruvien, chilien, argentin, équatorien, laotien, malais etc… Aussi, les Hollandais sont obligés d’afficher « Restaurant hollandais ». Pas mal ! Une restauration plus diversifiée qu’ailleurs donc.

Le mélange des genres en architecture : L’immense Hôtel-restaurant en forme de pagode sur le port d’Amsterdam est une preuve absolue que les Hollandais - qui ont sillonné le monde - ne craignent pas le cosmopolitisme. Cette évocation de la Chine ou de la Malaisie sur ce célèbre port fait croire à un esprit différent qui se voit également dans l’association de l’ancien et du moderne partout. Finalement, tout cela apparaît très harmonieux. Il faut oser pour le croire !         

Priorité aux commerces de proximités : La Hollande compte-t-elle beaucoup de super marchés ?  A Amsterdam, je n’ai pas vu de super marchés avec d'immenses parkings pour voitures. Une multitude de petits commerces, si. A la différence des villes françaises, il semble qu’il n’y ait pas de quartiers commerçants et des quartiers non commerçants ou dortoirs. Ainsi pas besoin de prendre la voiture puisqu’on a tout à proximité. D’autre part, cette organisation de la cité permet au visiteur de voir partout vivre réellement la population. Cela lui permet aussi d’avoir à boire et à manger partout où il se trouve et à tout moment de la journée. Les autres villes d’Europe que je connais ne permettent pas toutes ces possibilités à la fois.      

Le passé négrier : Le beau bateau sur le port - réplique de ceux qui voguaient sur les océans à l’époque de l’esclavage – rappelle à tous que ce peuple a écrit aussi une longue page de l’histoire de la navigation. Il permet de comprendre dans quelles conditions voyageaient non seulement l’équipage mais aussi les esclaves embarqués. A visiter absolument.      

            En privilégiant l’usage du vélo plutôt que celui de la voiture, en optant pour le cosmopolitisme social et le commerce de proximité, la Hollande montre que des voies pour le mieux-vivre existent. Il nous reste à oser. 

Raphaël ADJOBI

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23 août 2009

Visiter Amsterdam et s'instruire

                     Visiter Amsterdam et s’instruire

            Les voyages ne forment pas que la jeunesse ; chacun le sait, sauf peut-être la jeunesse. Raison pour laquelle ils ont, dans les siècles passés, abondamment nourri la littérature. A vrai dire, aujourd’hui on ne voyage pas ; on est transporté d’un lieu à un autre. Et une fois à destination, on cherche à satisfaire ses yeux et à profiter des tables locales. Les impressions de voyages d’aujourd’hui se limitent donc souvent à une collection de « bizarreries ».

            Pour ma part, mon récent séjour à Amsterdam m’a beaucoup appris et ne me permet plus de me contenter des habitudes. Je voudrais ici vous livrer mes impressions et mes analyses qui motivent cette conviction. Le futur voyageur pourra tirer profit de certains détails. Vos impressions et vos analyses personnelles seront aussi les bienvenues.

Amsterdam_Maison_flot

Arrivée et installation : Un premier contact avec le métro assez décevant parce que les  noms des stations sont en petits caractères. Difficile de savoir où l’on se trouve. De ce point de vue, Paris est imbattable en efficacité. Préférez le tramway en toutes circonstances. Les distances entre les différents sites se font facilement à pied. Aussi, n’hésitez pas à choisir un hôtel qui vous semble loin du centre. L’immensité d’Amsterdam sur une carte n’est qu’un trompe-l’œil.

La ville ou le vélo est roi : C’est souvent ce que l’on entend dire d’Amsterdam. La réalité dépasse les paroles. Imaginez la ville de Paris vidée des trois quarts de ses voitures et dotez-la de parkings à deux niveaux pour les vélos et vous avez Amsterdam !   

Donc peu de voitures en circulation. Tout le monde est à pied ou à vélo. Tout à été prévu pour que chacun puisse l’utiliser quotidiennement, même pour accompagner les enfants à l’école ou pour aller faire ses courses. Toutes les rues, les nationales, et mêmes les larges voies autoroutières reliant la ville aux banlieues sont doublées d’une piste cyclable et d’une voie piétonne ; et dans les deux sens s’il vous plaît ! Mais attention, les cyclistes vont vite ! Et le piéton n’a pas intérêt à « squatter » leurs voies. 

Il semble que les suisses ont également une vieille et grande pratique du vélo. Mais le phénomène, sans doute moins frappant, n’a pas retenu mon attention lors de mon séjour dans les années 90. Alors qu’en France tout est fait pour la voiture, en Hollande tout est fait pour que son usage ne soit pas nécessairement quotidien. Une vraie culture du vélo alors qu’en France il n’est qu’un loisir.      

Amsterdam_raph

Belle leçon pour les pays en développement : Que ceux qui croient que le vélo-taxi est la marque des pays sous-développés revoient leurs leçons d’écologie. La Hollande pratique le vélo-taxi, le bateau-taxi, le bateau-bus. La politique du tout pour la voiture qu’affectionnent de nombreux pays européens comme la France et l’Espagne (les deux pays que je connais) et que copient les pays africains et sud-américains rend très difficile - pour ne pas dire impossible - une vraie politique écologique en matière de pollution atmosphérique. D’autre part, le tout voiture génère un aménagement du territoire de plus en plus compliqué rendant les déplacements de moins en moins commodes hors les locomotions motorisées.

Être en retard peut parfois s’avérer un atout. Avant les années 80, le réseau routier espagnol était celui d’un pays sous-développé. En tenant compte des erreurs des pays plus avancées dans ce domaine, l’Espagne dispose aujourd’hui d’infrastructures routières nettement plus commodes que la France. En se montrant attentifs aux expériences étrangères, les pays africains peuvent donc bâtir un avenir plus commode et plus écologique.

Raphaël ADJOBI         

Photo 1. Maison flottante. L’eau étant omniprésente, les maisons flottantes sont ici des habitations ordinaires.                  

Photo 2. Amsterdam est une ville qui ose le mélange des architectures : anciennes, modernes, de style étranger comme cette immense construction de style pagode rappelant l’Asie. On apprécie aussi le mélange des saveurs du monde en gastronomie.

8 août 2009

Un don (de Toni Morrison)

                                              Un don

Un_don_de_toni_M                (Toni Morrison)

            Un don est un roman qui demande une attention permanente et suscite régulièrement des questions quant à l’identité des personnages. En d’autres termes, on peut être souvent perdu. Il est donc conseillé de ne pas l’avoir entre les mains dans un moment où l’esprit est trop agité.

            L’Histoire du roman se situe au XVII è siècle, aux débuts de la traite négrière atlantique. Ici, les événements précèdent les périodes rudes de l’asservissement des nègres peint dans Beloved auquel Un don  reprend un peu le style à la fois poétique et brutal. C’est l’histoire de plusieurs vies brisées, non pas par la dureté des conditions du travail infligé aux esclaves (indigènes, noirs ou blancs), mais par la simple difficulté d’être et de s’adapter à cet univers chaotique qu’était le nouveau monde se remplissant d’aventuriers, misérables, condamnés et bannis venus d’Europe.

            Jacob Vaark qui a hérité d’une terre mène une vie de fermier et de commerçant dans cette Amérique où tout semble possible. Il va peu à peu se construire un petit univers apparemment à l’abri des souffrances qui guettent ce monde esclavagiste qui lentement mais sûrement fabrique des chaînes aux pieds des humains. D’abord, il achète une esclave indigène de 14 ans, Lina. Mais elle sera plus une aide en attendant qu’il prenne femme. Puis il épousera Rebekka, une Européenne comme lui. Les deux femmes se jalouseront avant de devenir complices et inséparables. Enfin arrivent deux fillettes noires : Sorrow recueillie des eaux par des bûcherons et Florens, que Jacob obtient en paiement d’une dette. Parce que par prudence le fermier ne voulait pas de la main-d’œuvre masculine à la maison, il se contentait de louer les services de deux esclaves blancs d’une propriété voisine dont l’un rêve de racheter sa liberté sans cesse compromise. Pour achever son œuvre de bâtisseur d’un monde qui prospère, Jacob entreprit la construction d’une nouvelle demeure aux dimensions de ses rêves. Pour cela, il eut besoin du concours d’un ferronnier noir libre. Voilà donc le décor et les protagonistes. Mais tout cela se trouve dans le désordre dans le roman.

            Il ne restait plus à Jacob Vaark et à Rebekka qu’un héritier pour espérer faire prospérer ce nid de bonheur. Mais la maladie et la mort permettra très vite une réflexion sur la viabilité d’une telle vie fondée sur un noyau à la Adam et Eve loin de tout clan, de toute famille, de toute tribu.    

            

Un don n’est pas un livre d’action comme on l’entend au cinéma. C’est le récit du passé et la vie de chacune des domestiques noires de jacob Vaark qui lui donne toute sa dimension déchirante. Surtout Lina, l’indigène, et Sorrow nous renvoient aux conditions de l’arrachement à la terre des ancêtres ainsi qu’aux conditions du voyage en bateau. Mais si les souvenirs sont des images brèves parce qu’ils sont ceux de l’enfance, ils nous instruisent beaucoup sur la difficulté des esclaves à se reconstruire après le traumatisme de l’arrachement brutal à leur lieu de naissance et de vie ordinaire. Quant à la vie de Florens (la narratrice, quand le récit n’est pas à la 3è personne) ce sont ses rêves que l’ont suit et qui nous font espérer que quelque chose de nouveau peut naître de ces esclaves dans ce nouveau monde. 

            Un don est la peinture de l’innocence brisée. Parce qu’il est question de l’enfance meurtrie, donc de l’innocence, ce livre apparaît comme une somme d’images fugaces, incohérentes, anarchiques dans leur association. On peut noter par ailleurs que rarement, la littérature traitant de l’esclavage a fait la part belle à ceux qui, volontairement ou par inclination naturelle, ont choisi une autre voie que celle du brutal asservissement de l’homme avec la productivité pour seule finalité. En mêlant le passé et le présent, Un don laisse penser que le rêve était possible dans le nouveau monde. Mais un rêve qui devient vite une utopie parce que rattrapé par la réalité.

Raphaël ADJOBI

Titre : Un don (193 pages)

Auteur : Toni Morrison

Traduit de l’anglais par Anne Wicke

Editeur : Christian Bourgeois éditeur

16 juillet 2009

Entretien avec Delugio

                             Entretien avec Delugio

                        auteur du blog « Une vingtaine »

Poursuivant mon projet de vous faire  connaître davantage des blogueurs africains ou afrodescendants, je vous propose ici le deuxième « entretien » de la série  initiée au début de cette année. Mon invité est le franco-ivoirien Delugio, auteur du blog « Une Vingtaine ». Je vous conseille vivement de commencer par lire les questions posées.   

Extrait_Pascal_et_Raph1. Qui est Delugio derrière le blog UNE VINGTAINE ?

Quelqu’un qui a commencé à bloguer par hasard ! L’aveu par la ministre française de la Défense Michelle Alliot-Marie d’ « une vingtaine » de morts ivoiriens du fait de l’armée française (chiffre pour le moins à minima ! – après des jours de dénégation) m’a fait réagir à l’article annonçant cela dans nouvelobs.com, lequel m’a orienté vers l’ouverture d’un blog (intitulé dès lors « une vingtaine »)… 

Façon de faire acte de civisme, en deux sens. Comme français, je suis convaincu que le pacte colonial qui est derrière la raison d’Etat et cette façon de gérer les pays de la zone franc CFA (donc sans indépendance économique) est nuisible non seulement aux populations desdits pays, mais aussi à la France. Et par ailleurs, ayant été élevé au statut correspondant à ma classe d’âge dans le peuple adjoukrou, j’y ai des responsabilités afférentes, que j’exerce de cette façon-là : témoigner par la plume, ou le clavier…

J’ai fait cela en étant conscient de la dimension parfaitement hérétique, dans la pensée ambiante, des positions qu’il fallait prendre sauf à succomber à la lâcheté. Hérétique comme le nom de Lugio : déjà celui d’un cathare médiéval taxé alors d’ « hérétique » ! Puis celui d’une lignée apache (on ne peut plus décalé donc, par rapport à la nome), sans compter l’évocation du déluge sur lequel ne pouvaient que déboucher les événements culminant en 2004 – pour basculer dans l’ironie où on se trouve à présent, quand le nom Delugio évoque carrément un jeu pour enfants !…

2. Est-ce délibérément que tu publies moins depuis la création de ton nouveau blog ou parce que tu n’as pas encore trouvé, de manière claire, la direction à lui donner ?

En fait, j’ai diminué mes publications progressivement depuis que les médias français ont cessé de prendre la Côte d’ivoire et son pouvoir comme un déversoir de fiel. J’ai annoncé la fin de mes notes sur nouvelobs.com le 30 novembre 2008, soit quatre ans jour pour jour après le début de mon blog. Depuis, mon blog nouvelobs.com a disparu(j’ai reconstitué toutes mes notes sur mon blog wordpress). Il a disparu (en 2004) pour des raisons que l’on ne m’a toujours pas dites, mais qui me laissent penser que cette fin de blogging a été reçue comme un soulagement par la direction du Nouvel Obs, qui m’a fréquemment (et « officiellement ») censuré auparavant – le Nouvel Obs ayant toujours été dans la ligne du pouvoir français concernant la « crise ivoirienne ». La censure devenant trop régulière, j’en étais venu dès 2006 à ouvrir deux autres blogs (sur zeblog et hautetfort) !… Tentant déjà de privilégier une mise en perspective outre les événements au quotidien. (Allant d’analyses avec le recul à des réflexions sur les aspects corollaires des choses -  de l’idéologie coloniale au mythe de la « hiérarchie des races », et quelques morceaux d’actualité qui peuvent s’y rapporter, jusqu’à aujourd’hui.)

Concrètement, la diminution progressive du rythme de publication de mes notes correspond aux suites de l’accord de Ouagadougou. J’ai effectivement, depuis, publié de moins en moins de notes sur le sujet : il n’y a, pour l’instant, plus grande chose à dire en regard de l’objet premier de mon blog.

Je me suis bien sûr réjoui de l’accord de Ouaga, qui mettait fin aux violences. Une joie amère toutefois – et qui débouche sur un « wait and see », au de-là de la satisfaction évidente de la nébuleuse françafricaine, qui semble avoir retrouvé ses billes, avec, en contrepartie pour la Côte d’Ivoire, l’apaisement des médias français.

3. Il me semble que tu es sorti meurtri du combat que tu menais par l’intermédiaire de ton précédent blog. N’es-tu pas un peu traumatisé, comme bien des Ivoiriens, à l’issue des périodes troubles qu’a connu la Côte d’Ivoire ?

Meurtri, ce n’est pas le mot. Instruit serait plus juste. J’ai illustré cela dans la page « à propos » de mon blog wordpress, par le mythe développé par Stephen King dans son livre Les Tommyknockers, que j’utilise comme métaphore de la fameuse « françafrique » et de sa découverte : l’héroïne du livre butte sur une petite excroissance sur son chemin, pour finir par déterrer une réalité monstrueuse.

C’est cette réalité que l’on décrète morte, que l’on dit n’être plus à l’ordre du jour chaque fois qu’elle refait parler d’elle : l’ineffable « françafrique ».

J’ai découvert que les hommes politiques au fait de ce qui se passait finissaient par ne plus parler pour garder leur crédit, tout en ne trahissant pas les socialistes ivoiriens (Mélanchon, Emmanuelli), quand d’autres franchissaient le pas de la trahison de leurs alliés africains (Besson, Montebourg) ; même en sachant pertinemment ce qu’il en était (Hollande) : tous ceux-là rejoignant, au moment des exactions françaises, le pouvoirs d’alors (Chirac-Raffarin) en raison d’Etat.

Cela sans parler des médias. Mais comment pouvait-il en être autrement quand les médias sont aux mains de propriétaires français de l’économie ivoirienne ? Le proverbe africain résume l’idée : « celui qui mange à la table du roi ne peut pas dire la vérité au roi ».

Le tout sur l’air bien-pensant de la fameuse lutte contre le « racisme ivoiritaire », les médias faisant l’opinion et réciproquement.

Il y a effectivement de quoi être traumatisé quand on sait que derrière tout cela il y a des milliers de meurtres perpétrés par la rébellion protégée par ces mêmes intérêts (et par le silence de nos médias) grimés de bien-pensance.

Du coup, oui, Ouagadougou est un apaisement, mais un apaisement amer, consacrant l’impunité… Jusqu’à quelles élections ?

4. Crois-tu sincèrement à des élections présidentielles en Côte d’Ivoire en 2009 malgré des populations disséminées, une administration quasi absente dans le Nord et la présence de deux armées sur le territoire ?

Si ce n’est pas une gageure que de mettre en place des élections quand la moitié du territoire échappe à l’administration républicaine, restant aux mains des bandes armées (dites « ex »-rébelles) qui font leur beurre ; si ce n’est pas une gageure, c’est au moins un défi.

Le défi à relever pour aller au-delà de la situation résultant de la mise en place de la « force d’interposition ». Interposition en l’occurrence entre l’état républicain légitime et les bandes armées qui n’ont d’autre légitimité que celle de leurs armes !

… Sans compter que la crise, commencée depuis 1999 avec les démêlés Bédié-Ouattara, a dévoilé que lorsqu’un candidat « d’opposition », lors d’élections africaines, a la faveur de la « communauté internationale » et des médias (qui ne négligent rien en sa faveur), c’est qu’il a les mêmes positions économiques que son concurrent « usé »… Il suffit qu’on lui trouve toutes les vertus de la bien-pensance parisienne, pour en faire un candidat de la « post-françafrique » ! – quitte à calomnier médiatiquement  tous les autres.

C’est ce qui fait craindre pour l’avenir : je crains que le bras de fer Gbagbo-Françafrique, qui a été une occasion unique en Afrique, n’ait trouvé ses limites.

Une fenêtre de tir vers un renouveau en Afrique – auquel la France aurait déjà pu oser ne pas s’opposer – avait pourtant été ouverte après l’élection de 2000. Ou bien il n’est toujours pas trop tard, ce que pourraient dire les élections à venir, ou bien il faudra se contenter d’espérer la prochaine ouverture. Reste que l’histoire est écrite, qui ne pourra être effacée : quelque chose à bien eu lieu, un autre possible s’est esquissé.

5. Que penses-tu des blogs africains ?

Je suis ravi. L’ouverture de blogs ivoiriens est un des éléments qui ont contribué à la réduction de mes productions de blogeur. En 2004, j’étais, à ma connaissance, le seul blogeur écrivant sur la « crise ivoirienne » ! Je publiais alors, outre mes analyses, des articles de journaux ivoiriens (ou autres, comme par exemple ceux du journal burkinabé San Finna) – déjà publiés sur le net, mais de la façon éphémère des journaux.

Je publiais notamment des textes de Théophile Kouamouo, jusqu’au jour où il s’est mis à bloguer. : il me suffisait désormais de faire des liens. Puis sont apparus aussi Saoti, le blog « couper-coller » de CC, Yoro, Y-voir-plus, le tien, etc. (Je limite ma liste qui serait trop longue ! Voir les liens – non exhaustifs ! sur mon blog.)

Une véritable libération de la parole en Afrique – une véritable promesse.

6. Que penses-tu des récents travaux entrepris en Côte d’Ivoire par Israël Yoruba et Théophile Kouamouo pour la vulgarisation des blogs dans ce pays ?

Leur travail est évidemment, et en tête, dans cette promesse de la libération de la parole, qu’ils promeuvent de façon efficace et précieuse. Le nombre des blogs est déjà considérable : comme je viens de le dire en ne citant que les plus anciens, on ne peut déjà plus être exhaustif.

Et quand on sait le rôle que le débat par la plus et le clavier joue comme alternative à des crises pouvant devenir plus… physiques, comment le dialogue nuance les pensées, et, en même temps permet de dénoncer ce qui n’a pas lieu d’être, il y a tout lieu de s’en réjouir.

Entretien réalisé par

Raphaël ADJOBI

10 juillet 2009

Ces Noirs qui ont fait la France

                         Ces Noirs qui ont fait la France

 

Ces_Noirs_qui            

            Ce livre est un choix extraordinairement judicieux de figures historiques noires de l’Histoire de France. Des figures noires qui dépassent de loin beaucoup de noms pour lesquels la France brûle des encens. En le lisant, j’ai eu souvent ce mot à l’esprit : émouvant !   

            Benoît Hopquin commence son livre par le portrait du chevalier de Saint Georges dont j’ai longuement parlé dans un article en 2007. Celui qui connaît son histoire n’apprendra rien de nouveau mais aura le plaisir de le voir peint dans l’univers aristocratique de son siècle. N’oublions pas que s’il est né esclave, Saint-Georges est un noble qui a vécu comme tel malgré le racisme de ceux qu’il côtoyait. Certains portraits de ce livre sont une mine de connaissances comme celui de François-Auguste Perrinon, premier Noir polytechnicien (1832) qui fut un collaborateur de Victor Schoelcher dans le mouvement abolitionniste et associé à la rédaction de l’acte d’abolition. Le portrait de Blaise Diagne - « plus patriote dans  sa dévotion à la France que bien des Français » -  éclaire le penchant des intellectuels Sénégalais comme Lamine Gueye et Senghor à placer leur foi dans l’égalité entre Noirs et Blancs dans l’empire français au lieu de rechercher l’indépendance, c’est à dire à se montrer des ardents défenseurs de l’assimilation alors que visiblement la France méprisait cet idéal.

            C’est un véritable bonheur de découvrir des vies comme celle de Edmond Albius, cet esclave qui découvrit à 12 ans, sur l’île de la Réunion, la technique de la fécondation artificielle de la vanille alors que les savants échouaient lamentablement ; celles, révoltantes, de quelques noirs ardents combattants et résistants pendant la deuxième guerre mondiale, sauvagement passés par les armes des Nazis alors que ceux-ci épargnaient les prisonniers français blancs ; celle aussi de René Maran, le premier romancier noir couronné d’un prix littéraire français le 14 décembre 1921 à 34 ans. Après Jean-Jacques rousseau avec son Discours sur les sciences et les arts et avant Aimé Césaire avec son Discours sur le colonialisme, la préface de son roman Batouala va engendrer en France l’une des plus retentissantes polémiques littéraires du 20è siècle avec le racisme de bon nombre de critiques en prime. Portrait passionnant aussi que celui de Gaston Monnerville président du sénat pendant plus d’une vingtaine d’années. Premier et dernier sénateur noir élu en métropole, il oeuvra,  à la demande de De Gaulle, à l’établissement de la Vè République avant de devenir un farouche opposant à ce dernier. Tous, comme Césaire et Senghor ont combattu pour la France ou ont lutté pour l’équité et la justice en son sein.   

            Mais entre tous, les portraits les plus émouvants sont certainement ceux de Jean-Baptiste Belley, le député de Saint Domingue qui mènera une lutte anti-esclavagiste éblouissante ;  Louis Delgrès, qui mériterait d’être élevé au rang d’icône universelle de la liberté tant son sacrifice est immense ; et Félix Eboué, le premier résistant français sans qui l’appel du 18 juin de De Gaulle n’aurait eu aucun sens. C’est en effet Félix Eboué qui, contre l’avis de ses supérieurs et du gouvernement de Vichy et contrairement aux autres gouverneurs, va mettre l’armée du Tchad à la disposition de De Gaulle et lui conférer une certaine légitimité aux yeux des Anglais. Le fait qu’il soit le premier résistant de la dernière guerre à dormir au panthéon n’est que justice.

            Voilà donc pour les peuples noirs d’Afrique, des Caraïbes et d’ailleurs des héros illustres dont les noms - bannis ou indésirables en France - mériteraient de figurer aux frontons des écoles ou d’être portés par des rues citadines. Tout simplement parce qu’en luttant pour la France parce qu’ils étaient Français, ils ont lutté pour la justice à l’égard des Noirs. Le fait que le livre replace chacun des personnages dans l’histoire de la vie politique de son époque le rend très passionnant. Ainsi chacun d’eux apparaît comme une fenêtre sur un monde : la noblesse du 18 è siècle avec Saint Georges, les luttes abolitionnistes avec Jean-Baptiste Belley et François-Auguste Perrinon, etc… Mais les images manquent cruellement à cet ouvrage. On aimerait découvrir le portrait de Jean-Baptiste Belley que l’auteur a vu au château de Versailles ; un beau portrait, dont il fait une magnifique description. On lit ce livre conforté dans l’idée que l’abolition de l’esclavage n’est pas le fait de quelques volontés blanches philanthropes mais avant tout la réalité de luttes constantes de populations noires avec des leaders cultivés et amoureux des libertés et des règles d’équité prônées par les institutions françaises. D’autre part, ce livre montre que l’absence de figures noires dans les manuels d’histoire est une injustice, car la France compte des intellectuels noirs abolitionnistes, des officiers noirs ardents adversaires des Nazis et de leurs collaborateurs pendant que de nombreux français blancs se planquaient en zone libre ou se contentaient d’écouter l’appel de De Gaulle sans y répondre.

            Il faut signaler aussi l’excellente préface de l’auteur qui justifie ses choix. Quant à ceux qui oseraient qualifier son œuvre d’entreprise communautariste ou raciste, il répond tout simplement : « Que Saint-Georges, Delgrès, Eboué ou le tirailleur Maboulkede reprennent leur place, rien que leur place, au cœur de notre mémoire nationale, et tout sera pour le mieux. » Il rejoint ainsi la pensée de Delgrès criant aux générations futures de France : « Et toi postérité ! accorde une larme à nos malheurs et nous mourrons satisfaits. » Il faut espérer que cette demande de reconnaissance sera un jour satisfaite par les Français blancs. C’est d’ailleurs à eux que s’adresse avant tout ce livre qu’ils doivent considérer comme « un cours de rattrapage » d’histoire pour une connaissance plus exacte de l’Histoire de France.

 

Raphaël ADJOBI

 

 

Titre : Ces Noirs qui ont fait la France (274 pages)

Auteur : Benoît Hopquin

Editeur : Calmann-Lévy

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29 juin 2009

Histoires de têtes noires coupées

                            Histoires de têtes noires coupées                        

 

 

T_te_de_n_greMon récent billet sur le livre de François-Xavier verschave (De la Françafrique à la Mafiafrique) était accompagné d’un détail agrandi de la photo de couverture que je reproduis ici. J’avais en effet été beaucoup intrigué par cette image : une tête de Noir trônant sur un pieu planté au milieu d’un groupe de quatre colons.

            En fouillant dans mes souvenirs, je ne suis pas parvenu à retrouver des images ou des récits africains de «blancs coupeurs de tête ». Et pourtant je voyais sur cette photo de couverture la même scène de barbarie que celles abondamment publiées sur le net montrant  les familles américaines blanches rôtissant des noirs et prenant fièrement la pause devant  l’objectif du photographe pour la postérité. La barbarie des Français en Algérie, j’en ai entendu parler. Mais la luxuriante végétation derrière les quatre colons était la preuve que la scène ne s’est pas passée en Afrique du Nord.

            Où donc les français blancs ont pu aussi fièrement se livrer à une telle barbarie qu’on ne prête qu’aux Blancs d’Amérique ? C’est en lisant le livre de Benoît Hopquin (Ces Noirs qui ont fait la France) que la vérité m’a éclaté au visage. Un petit passage du livre parle des chasseurs d’esclaves des îles françaises qui avaient leur marque de fabrique les distinguant des rancheadores des îles espagnoles. Aux Antilles françaises, les chasseurs d’esclaves, « des Blancs mais aussi des Noirs, se faisaient rémunérer chaque main gauche coupée à un fuyard. Ils laissaient les corps à pourrir, sans sépulture […]. Ils ramenaient les preuves sanguinolentes dans un sac afin de recevoir paiement de leur sale besogne. Les trophées macabres étaient ensuite plantés sur les pieux, en place publique, pour l’exemple. » (p.96) Je lève les yeux, écoeuré  mais satisfait d’avoir l’explication de la photo qui m’avait tant intrigué quelques semaines auparavant.      

            Cependant la photo dont il est question me semblait trop récente au regard des tenues des colons. Je reprends donc le Livre de François –Xavier Verschave et j’entreprends de lire tous les éléments du paratexte et je découvre la mention suivante : « Couverture : répression d’une révolte en Côte d’Ivoire au début du XXè siècle. » (cla. Roger-Viollet). Ainsi donc les coupeurs de têtes noires n’étaient pas seulement des esclavagistes ! Ils étaient aussi de fiers colons d’une époque récente issus d’une société dite civilisée qui s’était donné pour mission de civiliser l’Afrique, coûte que coûte, même par décapitation.

 

Raphaël ADJOBI

17 juin 2009

Téléphonie : comment combattre la mode des numéros masqués

                           Téléphonie : comment combattre

                                     la mode des numéros masqués

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            Depuis l’apparition des écrans sur les appareils téléphoniques, bon nombre d’usagers se sentent gênés dans leurs relations avec leurs différents correspondants. Aussi, outre le fait d’être inscrits sur la liste rouge de leur opérateur téléphonique (non publication de leur nom et de leur numéro dans l’annuaire), ils optent de masquer leur numéro quand ils émettent un appel. C’est à croire qu’ils conçoivent le progrès dans la communication comme une entrave à leur liberté. Mais à regarder le phénomène de près, ce sont ces « inconnus » qui deviennent gênants dans la sphère de la téléphonie.

            A l’origine, être sur liste rouge était une façon commode pour ceux exerçant un métier public à risque, tels les hommes de loi (avocats, magistrats…), d’éviter les menaces et les tentatives d’intimidation. Certains, pour échapper à un membre de leur famille ou à des  connaissances indésirables ont également choisi cette option. Peu  à peu, la pratique s’est généralisée comme si cela conférait de l’importance de dire : « je suis sur liste rouge ». Quels appels dérangeants ces derniers cherchent-ils à éviter ? Les démarcheurs de produits ? Les publicités par téléphone ? Soit. Mais alors pourquoi passent-ils des appels masqués ? Que l’on veuille trier ses correspondants en s’inscrivant sur une liste secrète, cela se comprend. Mais que l’on se permette d’appeler les autres en restant masqué me semble de la plus haute incivilité.   

            Qui oserait en effet ouvrir sa porte à un  individu qui se présenterait chez lui avec un masque sur le visage ? En tout cas pas moi. Et je suppose que vous non plus. Il est donc nécessaire de réfléchir à cette pratique avant de l’adopter. J’invite même le lecteur à la combattre en ne répondant pas aux « numéros masqués ». Je voudrais ici attirer l’attention des uns et des autres et susciter une réaction qui contribue à faire échec à la pratique immodérée des appels masqués qui n’est pas seulement le fait des centrales d’appels ou des sociétés chargées d’appâter les clients. Elle est aussi plus généralement le fait de simples particuliers qui deviennent ainsi des importuns. Ce serait même une façon idéale d’éviter les petits plaisantins et les prétendus camarades d’études dont l’expression traduit l’absence d’études et de la simple civilité.

            Du simple fait que l’on n’ouvre pas sa porte aux visiteurs portant un masque, il importe que chacun s’oblige à ne pas répondre aux appels dont les numéros sont  masqués. Si le correspondant masqué juge son appel important, il ne manquera pas de vous laisser un message. Sans un mot de sa part, il vous aura signifié que rien n’est urgent où d’une grande importance. Faites donc comme moi, ne répondez pas aux appels masqués. Soyez certains que si les non-réponses à ce type d’appels se multiplient, les personnes concernées réfléchiront par deux fois avant d’importuner les autres avec leur masque.

Raphaël ADJOBI

10 juin 2009

De la Françafrique à la Mafiafrique

                      De la Françafrique à la Mafiafrique

 

Mafiafrique

 

            Voilà un petit livre qui me permet de découvrir François-Xavier Verschave que je n’avais jamais lu. Ce texte est la retransmission par Judith Cypel de son exposé-débat qui a eu lieu le 3 décembre 2003  à l’espace Renaudie d’Aubervilliers (Seine-Saint-denis).

            Il est ici question de la naissance et du fonctionnement, depuis 1960, des relations franco-africaines connues désormais sous le vocable Françafrique puis de son évolution en système mafieux généralisé que le conférencier appelle Mafiafrique. Délibérément, François-Xavier Verschave  parle plus du rôle de la France que de celui des gouvernants africains. Cependant, le lecteur comprend clairement que ce système fonctionne exactement de la même manière qu’aux temps de l’esclavage avec la criminalité financière en plus.

            Cette analyse de la mise en place de la Françafrique est très intéressante ; surtout le rappel des figures illustres africaines qui voulaient la vraie indépendance promise officiellement. On retiendra aussi les techniques employées par la France pour la mettre en oeuvre : envoyer des soldats très efficaces déguisés en mercenaires pour que la France ne soit pas responsable de ce qui se passe ; affaiblir un pays pour qu’il vende moins cher son pétrole ou autre exploitation en finançant militairement l’opposition et le pouvoir en place,

comme en Angola ; organiser des coups d’état comme la réinstallation de Sassou Nguesso au pouvoir (p.29-32 ; lecture vivement recommandée) ; pratiquer la désinformation pour que le peuple français ne perçoive rien des fourberies politiques et financières. Edifiants !

            Mais où va l’argent que toute cette politique de mainmise et de destruction apporte aux acteurs français de la Françafrique ? C’est à cette question que répond la deuxième partie de l’exposé. Eh bien, dit François-Xavier Verschave, cette situation permet aux « plus grandes banques françaises d’avoir la moitié de leurs comptes non déclarés dans les paradis fiscaux. » En d’autres termes, cet argent alimente des caisses illicites et permet aux gouvernants français de faire ce qu’ils veulent : financer leurs partis, faire des coups d’état…

            A voir de près, cet exposé montre l’antagonisme existant dans le monde entre d’une part la construction de biens publics que tentent de réaliser les états et d’autre part la criminalité financière qui passe son temps à détruire cette construction par la sauvegarde des paradis fiscaux, ces « pays vassaux, serviteurs de finance parallèle ». Ceux-ci sont en effet un pan économique non négligeable des grandes banques qui par ce biais échappent aux fiscs nationaux , c’est à dire à la contribution ordinaire au fonctionnement des états. T_te_de_n_gre 

            En annonçant ce 3 décembre 2003 que, dans cinq ans, les paradis fiscaux constitueront un drame pour les conquêtes sociales (p.46-47), le public qui écoutait François-Xavier Verschave ce jour-là ne pensait pas entendre un discours prémonitoire. Mais la crise mondiale va lui donner raison en éclatant à la face du monde dans la deuxième moitié de 2008 et au début de 2009. C’est à dire, exactement cinq ans après ! Aujourd’hui, les paradis fiscaux qu’il pointait du doigt en 2003 sont au centre des débats des nations.

            Afin de mieux saisir la complexité des réseaux françafricains, il me faudra lire d’autres ouvrages de l’auteur. Grâce à ce petit livre, la face immergée de l’iceberg que constitue ce système semble prendre une dimension plus grande encore puisqu’elle révèle la face financière qui rejoint un fonctionnement de la finance mondiale. Un peu étourdissant tout cela mais passionnant. Un petit livre à lire et à relire. Le détail de la photo est aussi à regarder.

            

Raphaël ADJOBI

 

Auteur : François-Xavier Verschave

Titre : De la Françafrique à la Mafiafrique  (69 pages)

Edition : Editions Tribord

5 juin 2009

Mercenaires de la République française dans le conflit ivoirien

                    Mercenaires de la République française

                                       dans le conflit ivoirien

Mercenaires

Lentement mais sûrement, les langues se délient et les plumes se montrent de plus en plus allègres pour dénoncer les mensonges de la diplomatie française en Afrique. Le livre de Franck Hugo et de Philippe Lobjois vient d’asséner un coup de pioche supplémentaire à l’œuvre de démolition de cette diplomatie que malheureusement de pauvres africains considèrent encore comme une main salvatrice.

Cinq pages de ce volumineux livre ont suffi aux deux auteurs pour montrer clairement que, contrairement à ce que la France a fait croire à la terre entière au point de susciter des sanctions à l’ONU contre la Côte d’Ivoire, ce n’est point Laurent Gbagbo qui a engagé des mercenaires en 2002 pour défendre son pays. Un mercenaire témoigne que c’est bien la France qui a chargé Marqués, l’ancien bras droit de Bod Denard, de la mission d’intervenir avec la légion étrangère. Il s’est retrouvé en Côte d’Ivoire « avec une dizaine d’autres lascars, des légionnaires pour la plupart recrutés d’urgence. » Il ajoute, comme un fait nouveau, « Marqués a recruté une dizaine de sud-Africains. »

Ils avaient tous un mois à peine pour former une unité solide mais dépendant de l’armée de Côte d’Ivoire. « Vite, nous serons lâchés vers la zone assiégée pour stopper l’avancée de nos anciens copains. » Dans l’ouest, ajoute-t-il, après la prise de Danané par le MPCI, un nouveau mouvement rebelle apparaît : Le MPIGO, formé essentiellement de Yacoubas entraînés par des Yacoubas du Libéria armés par le président Charles Taylor. Dès lors, il n’était plus question d’aller vers le Nord.

En décembre 2002, quand le narrateur de cet épisode rentre en France, il constate que « la main droite (les politiques de la diplomatie française) feint de découvrir la présence de la main gauche » (les mercenaires au service de la France) sur le sol ivoirien. Un peu excédé par cette attitude de la France, le narrateur continue : « Encore une fois la même tactique depuis trente ans : Mercenaire en première ligne, service action en second et détachement de l’armée française en dernier. » Quand la France demande de manière « énergique » que les « méchants mercenaires » rentrent, poursuit-il, Gbagbo n’avait pas envie de les lâcher. « Il faudra toute la dextérité de la diplomatie française pour qu’il cède ». Alors la France promettra à Gbagbo « d’officialiser les soldats français sur place et transformer tout ça en opération Licorne ». Ce qui fut chose faite en janvier 2003.

Quinze jours plus tard, le 6 février 2003, à l’unanimité, les sénateurs français votent une loi interdisant le mercenariat en France. Longtemps, dit le narrateur, les mercenaires ont cru à une blague. Pour eux, la France se tirait une balle dans le pied ; mais ils se rassurent en se disant que la France moralisatrice n’a jamais été capable d’être morale. « On connaît la force des lois, dit un mercenaire, toujours votées jamais appliquées. » Amère, le narrateur poursuit en ces termes : « Faire croire que l’on faisait quelque chose, faire croire que l’on avait changé, que l’on ne gouvernait plus comme avant […] Autour de moi, tout le monde s’était gondolé de rire » à l’annonce de cette loi.

Je ne veux pas ici faire une analyse superflue de ce chapitre du livre. Ce témoignage est tout simplement à verser dans le dossier de dénonciation de la mauvaise foi de la France. Celui des deux auteurs qui raconte cette expérience en Côte d’Ivoire rappelle qu’en 2000, lors d’une conversation précédant son départ du pays, l’un des mercenaires avait dit à leurs anciennes recrues (les rebelles ivoiriens) qu’il appelle « nos anciens copains » : « Le pouvoir est à portée de main. Si j’étais vous, je monterais dans le Nord avec les ouattaristes, et je mettrais sur pied une vraie opposition armée » (p. 345)

Raphaël ADJOBI

Titre : Mercenaire de la République

         (15 ans de guerres secrètes)

Auteur : Franck Hugo / Philippe Lobjois

Edition : Nouveau monde édition           

Petite histoire de la légion étrangère : C’est le 10 mars 1831 que le roi des Français, Louis-Philippe 1er, annonce à la France entière la création d’une légion composée d’étrangers qui prend la dénomination de « Légion étrangère ». La loi stipule que « la légion étrangère ne pourra pas être employée sur le territoire continental du royaume. »

29 mai 2009

Les discriminations en France

                            Les discriminations en France

 

Les_discriminations

 

            Vous avez sans doute entendu parler de la Halde (Haute Autorité de Lutte contre les discriminations et pour l’égalité). Son nom ne vous est pas inconnu ; mais la connaissez-vous vraiment ?   

C’est parce qu’il a l’intention de faire connaître cette institution et « sortir les gens de la résignation, du fatalisme qui consiste à penser qu’il y a des discriminations mais que l’on ne peut rien faire » pour le combattre que Louis Schweitzer a écrit ce livre. Afin que les gens aient le réflexe de faire appel à la Halde, L’auteur qui en est le président depuis sa récente création en 2005, présente cette institution en insistant sur ses compétences et son organisation.

            D’abord, il fait une distinction très nette entre les délits (traiter quelqu’un de salle nègre, de juif assassin, ou peindre une croix gammée sur une tombe) qui relèvent de la compétence de la justice et les discriminations (ne pas obtenir un poste ou un logement parce qu’on est noir ou handicapé physique) pour lesquelles les citoyens peuvent saisir la Halde. Même si, dans ce dernier cas, la Halde n’est pas un passage obligé pour les victimes d’une discrimination, les expériences relatées montrent qu’il vaut mieux passer par elle plutôt que de tenter une démarche solitaire devant les tribunaux.

            Ensuite, l’auteur mentionne (p.48) l’article du code pénal qui donne la liste des dix-huit critères de discriminations pour lesquels un citoyen peut faire appel à la Halde pour une action en justice. Aucune hiérarchie n’est établie entre les discriminations pour l’âge, l’orientation sexuelle, l’origine, les mœurs, le sexe, l’appartenance à une ethnie, la nationalité, la race, le handicap, l’état de santé, la grossesse, le patronyme, l’opinion politique, les convictions religieuses, l’activité syndicale, la situation familiale ou les caractéristiques génétiques. Puis l’auteur explique et analyse chacun des critères et souligne les combats, les succès et les échecs de la Halde dans chacun de ces critères. Le relatif succès de la Halde est dû au fait qu’elle peut intervenir, à sa propre demande, devant toutes les juridictions administratives (prud’homme, tribunal administratif) et judiciaires où elle joue le rôle d’expert dans le domaine des discriminations.Louis_Schweitzer

 

Analyses et réflexions

            Si la tâche de la Halde est louable, elle ne me semble pas un élément moteur dans la lutte contre le racisme ambiant. Tant que les injures et les quolibets dont vous êtes l’objet ne vous font pas perdre votre emploi ou ne vous empêche pas d’obtenir tel ou tel poste, il vous appartient de vous défendre seul. La Halde ne peut nullement vous aider parce que ces délits ne relèvent pas de sa compétence. C’est votre parole contre celle de l’autre. Un combat que vous pouvez d’avance considérer comme perdu puisqu’à la lecture de ce livre, il apparaît que même convaincus de discrimination dans un dossier présenté par la Halde, certains individus et certaines administrations publiques font appel du premier jugement qui les condamne. C’est dire qu’en France certaines personnes jugent en leur for intérieur qu’ils ont la liberté d’opérer des discriminations (souvent sur la base raciale) dans le choix de leurs collaborateurs ou employés ou encore dans l’attribution d’un service. 

            Force est de constater que si la France était en retard dans la lutte contre l’esclavage au 19 è siècle, elle est encore à la traîne dans le domaine de la lutte contre les discriminations puisque des institutions analogues à la Halde existent ailleurs depuis le 20è siècle : Etats-Unis en 1964 ; Québec en 1975 ; Grande Bretagne en 1976 ; Belgique en 1993. La France ayant toujours nié le racisme sur son sol et estimant que l’on exagérait son ampleur ne se décide à entreprendre cette lutte qu’au 21 è siècle !

D’autre part, en faisant de la discrimination raciale un élément quelconque perdu dans le flot des critères discriminatoires, on la banalise et on évite ainsi la recherche d’une politique spécifique pour rendre les minorités visibles sur les scènes administratives et politiques. Ailleurs dans le monde et surtout en Europe du Nord, les institutions semblables à la Halde sont souvent doublées de dispositions spécifiques (discrimination positive ou politique muticulturelle) en ce qui concerne la discrimination raciale.

            Certes, la création de la Halde est la preuve même que la France reconnaît officiellement enfin l’existence du racisme sur son territoire. Mais quand Louis Schweitzeir – d’ailleurs conscient du retard  pris par la France dans la lutte contre les discriminations - dit que le sentiment de discrimination est très fort en France parce que les interrelations (relations entre personnes d’origines différentes) sont plus nombreuses que dans les pays anglo-saxons où les gens se définissent en terme de communautés, c’est ne pas reconnaître l’échec de la politique française qui consiste à dire «  parce que nous sommes égaux, il faut s’interdire toute solution spécifique au traitement du racisme ». Tant que la France continuera a penser cela, l’action de la Halde ne sera qu’une goutte d’eau dans l’océan des discriminations liées à la couleur ou à l’origine retardant ainsi le progrès du pays sur la voie de la diversité. 

Raphaël ADJOBI

 

Auteur : Louis Schweitzeir

Titre :   Les discriminations en France (184 pages)

Editeur : Robert Lafont

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