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Lectures, analyses et réflexions de Raphaël
3 avril 2009

Des nègres et des juges ou La scandaleuse affaire Spoutourne

Des_n_gres___des_juges     Des nègres et des juges

                            ou

la scandaleuse affaire Spoutourne

                                              

            C’est ici l’histoire de la scandaleuse affaire Spoutourne du nom de la plantation martiniquaise où se sont déroulés les événements dont le livre retrace le procès.

            Les faits : La plantation Spoutourne appartenant à une veuve installée en métropole est gérée par le sieur Vermeil qui a tout autorité pour diriger le travail des esclaves. Aux dires de ceux-ci, l’homme serait devenu violents après son mariage et n’a cessé depuis lors de multiplier les sévices à leur encontre. Ce qu’il n’était point quand il fréquentait une négresse. Abusant de son pouvoir, il lui plaisait pour un oui pour un non de fouetter un esclave jusqu’au sang ou le mutiler, enfermer plusieurs d’entre eux dans une pièce minuscule où ils les laissait à la limite de la mort par asphyxie. Il abandonna un jeune Noir, qu’il venait de faire fouetter à mort, attaché nu sur une plage. Des crabes lui dévorèrent les parties intimes durant la nuit. Devant tant d’injustices et de mauvais traitements, une délégation de douze esclaves se rendit  au bureau du nouveau juge de la Martinique à la suite de nouvelles violences. Puis ce fut tous les esclaves de la plantation – certains en sang - qui se présentèrent pour demander la fin des injustices et cruautés. Le juge convoqua le sieur Vermeil pour l’entendre et lui fit quelques reproches sur sa mauvaise gestion.

            Analyse et réflexions : Contrairement à la révolte violente qui est la forme de revendication attendue par les colons, cette tentative faite par un atelier d’esclaves d’utiliser les institutions coloniales pour tenter d’obtenir une amélioration de leur sort était si originale à l’époque qu’elle apparut une véritable bizarrerie aux yeux des Blancs de l’île. D’autre part, un juge métropolitain qui accepte non seulement de recevoir les plaintes des esclaves mais encore de leur donner suite en convoquant le géreur de l’habitation Spoutourne puis en adressant des courriers aux diverses autorités compétentes, voilà qui perturbe l’habituel rapport des forces et exaspère les colons prêts à tout pour sauvegarder leurs intérêts et leur pouvoir dans les colonies.

            Le livre de Caroline Oudin-Bastide tente d’analyser les documents publics et privés de ce procès inédit au centre duquel six des douze esclaves de la délégation du 8 février 1831 apparaîtront le plus souvent comme le prétexte de règlement de compte entre les colons et les administrateurs métropolitains affectés dans les îles. En clair, ce livre montre comment les colons ont oeuvré durant des années, des siècles, à faire en sorte que les lois de la République ne puissent jamais s’appliquer dans les Antilles françaises ; comment ils tentent toujours de convertir les nouveaux arrivants à leur ordre esclavagiste ; comment ils manœuvrent constamment pour discréditer et faire chasser tous les nouveaux arrivants chargés d’exercer un quelconque pouvoir qui rappellerait la métropole. La seule façon de leur plaire « consiste à leur donner gain de cause quand ils ont tort, lorsqu’ils ont des procès avec les gens de couleur. » Aussi, c’était bien souvent un Conseil privé de la Martinique, formé par les colons, qui jugeait les affaires à la place d’un vrai tribunal de juges venus de la métropole. Cyrille_Bisset_2

            Aujourd’hui, au regard de certains événements récents, je me dis qu’il est tout à fait inadmissible qu’un peuple connaissant l’injustice pratiqué par ses aïeux soit aussi inconscient devant les injustices actuelles. D’autre part, il serait bon que les Noirs scrutent les pages de l’histoire qui dorment dans les archives et réveillent la mémoire de leurs ancêtres qui se sont dressés contre la barbarie de l’esclavage et du colonialisme et leurs tressent les lauriers usurpés par la longue liste des prétendus abolitionnistes blancs qui ont plié l’échine devant leur combat. Parmi eux, il faut compter Cyrille Charles Auguste Bissette qui, obligé de quitter l’île pour la métropole n’a pas manqué de suivre l’affaire en qualité de mandataires des hommes de couleurs de la Martinique, comme il se définissait lui-même.

 

Raphaël ADJOBI   
Titre   : Des nègres et des juges

 

            La scandaleuse affaire Spoutourne

 

            (1831-1834)

 

Auteur : Caroline Oudin-Bastide

 

Edition : Editions Complexe

 

              (Collection : De source sûre)

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Commentaires
S
Votre réaction me fait plaisir. Je me réjouis également de savoir que vous avez soif de découvrir les documents retraçant le passé des Noirs.<br /> C'est à la Fnac que j'ai acheté ce livre. Je crois qu'en passant par cette maison tu pourras l'obtenir sans problème. Il te suffira tout simplement de bien mentionner le titre, le nom de l'auteur et celui l'éditeur que je signale au bas de mon article.<br /> Bonne chance et bonne lecture ; et peut-être à bientôt pour me faire connaître vos impressions.
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M
Pourquoi n'étiez vous pas en Guadeloupe depuis exactement le 20janvier2009 Pour justement vivre en live ce livre"les nègres et les juges" il me le faudrait ce livre là ou puis-je le commander? sinon merci beaucoups de partager vos découvertes avec nous. J'ai soif de découvrir tout ces documents j'éspère que vous pourrez me donner des références.
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S
@ Oui, Cher Billy, il y a dans l'histoire française des Noirs instruits qui ont défendu leurs semblables au péril de leur vie. Il nous faut apprendre à les connaître et leur céder dans nos manuels d'histoire la place qu'ils méritent.<br /> <br /> @ Bonjour Seck,<br /> Plus les documents du passé seront mis à jour, plus les négationnistes deviendront insignifiants. C'est aux Noirs d'entretenir la mémoire de leurs ancêtres. C'est effectivement très surprenant de voir le grand nombre des Antillais vivre dans l'ignorance de leur condition qui se situe en vérité à la marge des lois républicaines. Tu dis que la France "a réussi a plonger la majorité de nos frères dans un certain obscurantisme". C'est justement ce faisait remarquer un autre internaute en parlant d'entreprise de "déshumanisation réussie" de la France. <br /> <br /> @ Bonjour Caroline,<br /> C'est vrai que depuis que je me suis fixé pour objectif de plonger dans le passé des Noirs, je découvre des textes étonnants, des histoires que l'on ne soupçonnerait pas dans le passé colonial de la France. Mais je dois la découverte d'un certain nombre de livres à ma libraire qui sait maintenant que tout ce qui se rapporte à l'esclavage et à l'histoire de la dispora africaine m'intéresse. J'ai donc la chance d'avoir une aide précieuse.
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C
Bonsoir Saint Ralph<br /> <br /> J'ai tout bien lu et c'est toujours interessant d'apprendre, je connais mal l'histoire des iles alors pour le coup, c'est de l'inedit. Comment as tu decouvert ce livre ?
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S
Vous venez, une fois encore, de nous servir une analyse très pertinente, de haute portée symbolique qui colle très bien à l'actualité. <br /> Peut-être que certains nous reprocheront de vouloir être plus royalistes que le roi, mais le devoir de mémoire nous impose à nous tous, ces rappels de l'histoire douloureuse de la Traite Négrière, de celle des Antilles qui nous touche et nous concerne, n'en déplaise à ces pauvres Négationnistes et autres révisionnistes héritiers des bourreaux sanguinaires du peuple noir qui semblent avoir réussi à plonger la majorité de nos frères des Antilles dans un certain obscurantisme.
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