Des nègres et des juges ou La scandaleuse affaire Spoutourne
Des nègres et des juges
ou
la scandaleuse affaire Spoutourne
C’est ici l’histoire de la scandaleuse affaire Spoutourne du nom de la plantation martiniquaise où se sont déroulés les événements dont le livre retrace le procès.
Les faits : La plantation Spoutourne appartenant à une veuve installée en métropole est gérée par le sieur Vermeil qui a tout autorité pour diriger le travail des esclaves. Aux dires de ceux-ci, l’homme serait devenu violents après son mariage et n’a cessé depuis lors de multiplier les sévices à leur encontre. Ce qu’il n’était point quand il fréquentait une négresse. Abusant de son pouvoir, il lui plaisait pour un oui pour un non de fouetter un esclave jusqu’au sang ou le mutiler, enfermer plusieurs d’entre eux dans une pièce minuscule où ils les laissait à la limite de la mort par asphyxie. Il abandonna un jeune Noir, qu’il venait de faire fouetter à mort, attaché nu sur une plage. Des crabes lui dévorèrent les parties intimes durant la nuit. Devant tant d’injustices et de mauvais traitements, une délégation de douze esclaves se rendit au bureau du nouveau juge de la Martinique à la suite de nouvelles violences. Puis ce fut tous les esclaves de la plantation – certains en sang - qui se présentèrent pour demander la fin des injustices et cruautés. Le juge convoqua le sieur Vermeil pour l’entendre et lui fit quelques reproches sur sa mauvaise gestion.
Analyse et réflexions : Contrairement à la révolte violente qui est la forme de revendication attendue par les colons, cette tentative faite par un atelier d’esclaves d’utiliser les institutions coloniales pour tenter d’obtenir une amélioration de leur sort était si originale à l’époque qu’elle apparut une véritable bizarrerie aux yeux des Blancs de l’île. D’autre part, un juge métropolitain qui accepte non seulement de recevoir les plaintes des esclaves mais encore de leur donner suite en convoquant le géreur de l’habitation Spoutourne puis en adressant des courriers aux diverses autorités compétentes, voilà qui perturbe l’habituel rapport des forces et exaspère les colons prêts à tout pour sauvegarder leurs intérêts et leur pouvoir dans les colonies.
Le livre de Caroline Oudin-Bastide tente d’analyser les documents publics et privés de ce procès inédit au centre duquel six des douze esclaves de la délégation du 8 février 1831 apparaîtront le plus souvent comme le prétexte de règlement de compte entre les colons et les administrateurs métropolitains affectés dans les îles. En clair, ce livre montre comment les colons ont oeuvré durant des années, des siècles, à faire en sorte que les lois de la République ne puissent jamais s’appliquer dans les Antilles françaises ; comment ils tentent toujours de convertir les nouveaux arrivants à leur ordre esclavagiste ; comment ils manœuvrent constamment pour discréditer et faire chasser tous les nouveaux arrivants chargés d’exercer un quelconque pouvoir qui rappellerait la métropole. La seule façon de leur plaire « consiste à leur donner gain de cause quand ils ont tort, lorsqu’ils ont des procès avec les gens de couleur. » Aussi, c’était bien souvent un Conseil privé de la Martinique, formé par les colons, qui jugeait les affaires à la place d’un vrai tribunal de juges venus de la métropole.
Aujourd’hui, au regard de certains événements récents, je me dis qu’il est tout à fait inadmissible qu’un peuple connaissant l’injustice pratiqué par ses aïeux soit aussi inconscient devant les injustices actuelles. D’autre part, il serait bon que les Noirs scrutent les pages de l’histoire qui dorment dans les archives et réveillent la mémoire de leurs ancêtres qui se sont dressés contre la barbarie de l’esclavage et du colonialisme et leurs tressent les lauriers usurpés par la longue liste des prétendus abolitionnistes blancs qui ont plié l’échine devant leur combat. Parmi eux, il faut compter Cyrille Charles Auguste Bissette qui, obligé de quitter l’île pour la métropole n’a pas manqué de suivre l’affaire en qualité de mandataires des hommes de couleurs de la Martinique, comme il se définissait lui-même.
(Collection : De source sûre)