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Lectures, analyses et réflexions de Raphaël
15 juin 2007

Strange Fruit (Une analyse de Raphaël ADJOBI)

Billie_Holiday                Strange fruit

 

                  (Un fruit étrange)

    

Les arbres du sud portent un fruit étrange.

 

Du sang sur les feuilles, du sang sur les racines,

 

Un corps noir se balançant dans la brise du Sud.            

 

Etrange fruit pendant aux peupliers.

 

 

Scène pastorale du vaillant Sud.

 

Les yeux exorbités et la bouche tordue, 

 

Parfum de magnolias, doux et frais.

 

Puis une odeur soudaine de chair brûlée.

 

 

Voici un fruit à picorer par les corbeaux

 

Que la pluie fait pousser, que le vent assèche.

 

Pourri par le soleil, il tombera de l’arbre.

 

Voilà une étrange et amère récolte !

 

              Abel Meeropol         

 

Lynchage_1

            Strange Fruit est un poème qu’il faut lire en ayant à l’esprit un paysage rural semé de champs de coton qui laissent voir ça et là quelques arbres isolés ou quelques bosquets procurant un peu de fraîcheur. Il faut imaginer qu’au siècle dernier, dans les années 30, au plus fort des lynchages dans les campagnes américaines, quand un promeneur empruntait une route serpentant dans ce paysage de rêves, au détour d’un chemin, il n’était pas rare qu’il voie suspendu à un arbre un étrange fruit. Un fruit noir qui ensanglantait les feuilles et les racines de l’arbre qui le portait. 

            Ce fruit étrange dont il est question désigne les corps des victimes noires des lynchages que l’on pendait aux arbres quand elles n’étaient pas brûlées vives. Ces images, Abel Meeropol, un enseignant juif d’origine russe, les avaient découvertes par le biais des photographies que les familles blanches s’adressaient sans vergogne et sur lesquelles on les voyait rayonnantes à côtés de leur victime. Choqué par cette pratique, il écrivit et publia un poème (Bitter Fruit) sous le pseudonyme de Aka Lewis Allan. Il en fera par la suite une chanson et la proposera à la chanteuse noire américaine de jazz et de bleues, Billie Holiday. Celle-ci, déjà célèbre, chantera pour la première fois ce texte, devenu Strange Fruit, au Café Society, seul club antiségrégationniste de New York.

            Dans une mise en scène sobre avec le public plongé dans le noir et un faisceau de lumière éclairant la silhouette de Billie Holiday, celle-ci chanta d’une voix déchirante accompagnée des seules notes d’un piano. A la fin de sa prestation, le public désorienté garda un silence de mort. Puis, un spectateur osa battre des mains entraînant peu à peu le reste du public dans un tonnerre d’applaudissements. Depuis, cette chanson compte parmi les réquisitoires artistiques les plus vibrants contre le lynchage couramment pratiqué dans le Sud et l’Ouest des Etats-Unis. Seize ans avant que Rosa Parks ne devienne célèbre en refusant de céder sa place dans un bus en Alabama, grâce à « sa voix déchirée et déchirante », Billie Holiday a permis à ce poème de faire prendre conscience du racisme et du pouvoir de l’art dans le combat pour les droits des noirs.

            Voilà donc une œuvre que les écoliers noirs d’Afrique et d’ailleurs devraient étudier afin de ne jamais oublier ce qu’ont vécu ceux qui ont quitté brutalement la terre d’Afrique pour l’Amérique lointaine. Et il faut qu’ils sachent aussi que si l’on ne pend pas toujours des noirs, aujourd’hui on plastique leurs maisons, on les abat toujours au fusil, et on les frappe jusqu’à ce que mort s’ensuive à la batte de base-ball. Ainsi, entre 1980 et 1986, on a recensé cent vingt et un meurtres imputables à l’ultra droite américaine (source : Centre du renouveau démocratique, basé en Alabama). Les morts motivées par la haine raciale n’ont donc pas disparu du sol américain.   

 

Raphaël ADJOBI

 

(Bibliographie : Article de Dirk Ingo Franke publié par Arte.tv. / Article de Jeannine Dath pour Théâtre Varia / Articles de Torpedo et Wikipedia / Photos : Wikipédia et Afrostyly)         

Livres à retenir : 1) Without Sanctury, Le lynchage aux Etats-Unis en cent trente photographies. 2) Freedom, histoire photographique de la lutte des Noirs américains, édit. Phaiton, 2003. 3) L’empire du mal, dictionnaire iconoclaste des Etats-Unis ; auteur : Roger Martin, éditions Cherche-Midi, 2005. 

 ° L'histoire d'une autre chanson célèvre sur l'esclavage : Amazing Grace

               Strange Fruit

 

Southern trees bear strange fruit,                       
Blood on the leaves and blood at the root,             
Black bodies swinging in the southern breeze,
Strange fruit hanging from the poplar trees.

Pastoral scene of the gallant south,
The bulging eyes and the twisted mouth,
Scent of magnolias, sweet and fresh,
Then the sudden smell of burning flesh.

Here is the fruit for the crows to pluck,
For the rain to gather, for the wind to suck,
For the sun to rot, for the trees to drop,
Here is a strange and bitter crop
.

Composed by Abel Meeropol (Aka Lewis Allan)

        Originally sung : Billie Holiday

 

 

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Commentaires
S
Merci Saint-Michel psy,<br /> <br /> Désolé de prendre connaissance si tard de votre message. Je viens de visiter le site indiqué. J'y reviendrai.
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S
Bonjour Raphaël, je me permets de vous signaler cet article proposant l'analyse de Strange Fruit sous un angle psychanalytique. J'espère qu'il contribuera à mieux informer les lecteurs de votre site.<br /> <br /> http://saint-michel-psy.fr/psychanalyse/strange-fruit-billie-holiday-lewis-allan-analyse-oeuvre.html
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S
Ton commentaire datant du 20 juin 2018 est placé au milieux de ceux enregistrés entre 2007 et 2017 ! Étrange ! <br /> <br /> <br /> <br /> Bien sûr que tout le monde peut étudier cette œuvre, Mathilde. Et d'ailleurs en France, beaucoup de professeurs d'anglais l'étudient avec leurs élèves. C'est aussi la raison pour laquelle je m'adresse aux enseignants et aux élèves d'Afrique où je suis sûr qu'ils sont très nombreux à ne pas la connaître.
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M
L'article est très bien ! <br /> <br /> <br /> <br /> Cependant j'émets une objection : pourquoi est-ce que ce sont "les écoliers noirs d’Afrique et d’ailleurs" qui devraient l'étudier ? Pourquoi pas tous les écoliers blancs et noirs ? Il me semble que cela ne relève pas seulement d'une "histoire des noirs" (parce qu'en plus être noir ne veut pas dire venir d'Afrique et ne désigne pas forcément une identité commune), mais l'Histoire, et donc elle devrait englober tout le monde. <br /> <br /> <br /> <br /> Voilà, je tenais juste à faire cette petite remarque, parce que pour moi, ça m'a laissé sur une note étrange.
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S
Merci Sophie ! <br /> <br /> <br /> <br /> Chère collègue, merci pour ton commentaire qui n'apparaît malheureusement pas sur le site alors qu'il est bien mentionné "édité". Je suis content de savoir que ma traduction de la chanson et mon analyse participent au travail que vous faites avec vos élèves de terminale.
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