Afrique : l'expansion de la téléphonie mobile, un anneau d'or au doigt du lépreux
Afrique : l’expansion de la téléphonie mobile
un anneau d’or au doigt du lépreux
La floraison du téléphone mobile en Côte d’ivoire est un phénomène remarquable mais nullement surprenant. Elle est à la fois le signe d’un besoin réel de communiquer plus aisément mais aussi l’expression de la carence des pouvoirs publics face à ce besoin. La situation de la Côte d’Ivoire n’est sans doute pas différente de celle du Sénégal, du Mali, du Togo du Cameroun ou des deux Congo.
En une décennie, la Côte d’Ivoire est devenue un marché juteux pour les opérateurs français qui l’ont totalement inondée de toutes les innovations technologiques en matière de téléphone mobile. Aujourd’hui, il est rare de trouver une famille où aucun membre ne possède ce petit appareil. On pourrait se réjouir de cet engouement et conclure à un véritable saut dans l’ère moderne. Malheureusement, il convient de constater que cette extraordinaire expansion de la téléphonie mobile cache un taux d’équipement absolument faible en téléphones fixes. Et dans ce dernier domaine, les gouvernants ont fait preuve d’un manque d’appréciation inadmissible en matière de développement. Jamais, rien n’a été fait pour couvrir le pays de cet élément de communication qui est reconnu dans les pays avancés comme essentiel aux progrès économiques, administratifs, et même sociaux. En un mot, un formidable moteur de développement national.
En Côte d’Ivoire, et sans doute ailleurs dans les pays cités plus haut, le téléphone fixe demeure toujours un objet de luxe, non point parce que l’on n’en veut pas, mais parce qu’il est peu fiable et une source de conflits avec l’administration. Une installation avec des délais délibérément trop longs qu’il faut écourter en corrompant les administrateurs locaux ; une facturation aléatoire qui peut vous plonger du jour au lendemain dans un conflit sans fin avec l’opérateur national ; un service après vente inexistant. Force est de reconnaître que tout cela n’est guère engageant. Par ailleurs, jamais l’état n’a eu la ferme volonté de développer le réseau du téléphone fixe ; jamais d’incitation à l’acquisition de cet outil par une quelconque campagne qui en montre la nécessité vitale ; jamais la volonté de faciliter son accès à la population.
Alors bien sûr, l’avènement du téléphone mobile est vite apparu comme le moyen idéale de se libérer des problèmes administratifs et financiers avec l’état et lui tourner définitivement le dos. Désormais, les usagers savent ce qu’ils consomment. Très vite, ont fleuri sur tous les trottoirs des villes et des villages - même parfois les plus éloignés - des kiosques téléphoniques. De petits commerçants ont supplée la carence de l’état en montrant par cette couverture extraordinaire du pays le réel besoin des populations en matière de communication plus rapide et sûre. Personne ne peut donc nier que les Ivoiriens étaient dans le besoin ; un besoin que l’état ne satisfaisait pas parce qu’il ne le prenait pas en compte dans son programme de développement.
La conséquence d’un tel état de chose est inévitablement la fracture numérique avec les pays avancés. Le faible taux de connexion à Internet en Côte d’Ivoire est dû en premier lieu à l’absence d’un réseau téléphonique fixe conséquent. La légèreté des bourses et le véritable intérêt des usagers pour cet outil ne seront pris en compte dans ce faible taux de connexion que lorsque les moyens techniques préalables seront disponibles. D’autre part, on peut constater qu’une fois encore la Côte d’Ivoire – comme d’autres pays africains – brûle les étapes du progrès technique perdant ainsi le contrôle de son propre développement. Le téléphone mobile apparaissant ainsi comme l’anneau d’or au doigt du lépreux.
En attendant donc que l’état ivoirien – et sans doute les autres états africains – comprenne qu’il y a un véritable marché qu’il peut conquérir, ce sont les opérateurs étrangers de téléphonie mobile qui se frottent les mains le sourire aux lèvres.
Raphaël ADJOBI