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Lectures, analyses et réflexions de Raphaël
8 août 2009

Un don (de Toni Morrison)

                                              Un don

Un_don_de_toni_M                (Toni Morrison)

            Un don est un roman qui demande une attention permanente et suscite régulièrement des questions quant à l’identité des personnages. En d’autres termes, on peut être souvent perdu. Il est donc conseillé de ne pas l’avoir entre les mains dans un moment où l’esprit est trop agité.

            L’Histoire du roman se situe au XVII è siècle, aux débuts de la traite négrière atlantique. Ici, les événements précèdent les périodes rudes de l’asservissement des nègres peint dans Beloved auquel Un don  reprend un peu le style à la fois poétique et brutal. C’est l’histoire de plusieurs vies brisées, non pas par la dureté des conditions du travail infligé aux esclaves (indigènes, noirs ou blancs), mais par la simple difficulté d’être et de s’adapter à cet univers chaotique qu’était le nouveau monde se remplissant d’aventuriers, misérables, condamnés et bannis venus d’Europe.

            Jacob Vaark qui a hérité d’une terre mène une vie de fermier et de commerçant dans cette Amérique où tout semble possible. Il va peu à peu se construire un petit univers apparemment à l’abri des souffrances qui guettent ce monde esclavagiste qui lentement mais sûrement fabrique des chaînes aux pieds des humains. D’abord, il achète une esclave indigène de 14 ans, Lina. Mais elle sera plus une aide en attendant qu’il prenne femme. Puis il épousera Rebekka, une Européenne comme lui. Les deux femmes se jalouseront avant de devenir complices et inséparables. Enfin arrivent deux fillettes noires : Sorrow recueillie des eaux par des bûcherons et Florens, que Jacob obtient en paiement d’une dette. Parce que par prudence le fermier ne voulait pas de la main-d’œuvre masculine à la maison, il se contentait de louer les services de deux esclaves blancs d’une propriété voisine dont l’un rêve de racheter sa liberté sans cesse compromise. Pour achever son œuvre de bâtisseur d’un monde qui prospère, Jacob entreprit la construction d’une nouvelle demeure aux dimensions de ses rêves. Pour cela, il eut besoin du concours d’un ferronnier noir libre. Voilà donc le décor et les protagonistes. Mais tout cela se trouve dans le désordre dans le roman.

            Il ne restait plus à Jacob Vaark et à Rebekka qu’un héritier pour espérer faire prospérer ce nid de bonheur. Mais la maladie et la mort permettra très vite une réflexion sur la viabilité d’une telle vie fondée sur un noyau à la Adam et Eve loin de tout clan, de toute famille, de toute tribu.    

            

Un don n’est pas un livre d’action comme on l’entend au cinéma. C’est le récit du passé et la vie de chacune des domestiques noires de jacob Vaark qui lui donne toute sa dimension déchirante. Surtout Lina, l’indigène, et Sorrow nous renvoient aux conditions de l’arrachement à la terre des ancêtres ainsi qu’aux conditions du voyage en bateau. Mais si les souvenirs sont des images brèves parce qu’ils sont ceux de l’enfance, ils nous instruisent beaucoup sur la difficulté des esclaves à se reconstruire après le traumatisme de l’arrachement brutal à leur lieu de naissance et de vie ordinaire. Quant à la vie de Florens (la narratrice, quand le récit n’est pas à la 3è personne) ce sont ses rêves que l’ont suit et qui nous font espérer que quelque chose de nouveau peut naître de ces esclaves dans ce nouveau monde. 

            Un don est la peinture de l’innocence brisée. Parce qu’il est question de l’enfance meurtrie, donc de l’innocence, ce livre apparaît comme une somme d’images fugaces, incohérentes, anarchiques dans leur association. On peut noter par ailleurs que rarement, la littérature traitant de l’esclavage a fait la part belle à ceux qui, volontairement ou par inclination naturelle, ont choisi une autre voie que celle du brutal asservissement de l’homme avec la productivité pour seule finalité. En mêlant le passé et le présent, Un don laisse penser que le rêve était possible dans le nouveau monde. Mais un rêve qui devient vite une utopie parce que rattrapé par la réalité.

Raphaël ADJOBI

Titre : Un don (193 pages)

Auteur : Toni Morrison

Traduit de l’anglais par Anne Wicke

Editeur : Christian Bourgeois éditeur

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Commentaires
S
Notre ami gangoueus me fait remarquer dans son commentaire que le personnage de Sorrow est de race blanche. Sa remarque ne m'a pas convaincu. J'en ai donc discuté avec une amie qui a lu le roman et qui pense qu'elle est métisse.<br /> <br /> En réfléchissant bien et en recoupant les éléments qui nous sont revenus à l'esprit (nous n'avons pas relu le livre), j'ai fini par croire aussi que Sorrow est métisse. Les images des noirs jetés à la mer, l'évocation de leur terre ancestrale, sont des éléments qui me font croire que Sorrow n'est pas blanche. Elle semble dans ses souvenirs trop proche des pauvres noirs emportés par le bateau. Mais sa familiarité avec le capitaine ou le commandant du navire (elle parle de son père) fait croire qu'elle est une enfant illégitime, dit mon amie. d'autre part, souligne-t-elle, il semble que dans le roman il est dit qu'elle a les cheveux roux.<br /> <br /> Si votre lecture du livre vous a fixé sur le statut racial de Sorrow, j'aimerais bien avoir votre avis.
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S
Bonjour caroline,<br /> <br /> Non, tu n'as pas eu tort de me conseiller la lecture de ce livre. <br /> <br /> Il est certes troublant et parfois gênant dans son organisation mais très intéressant dans le fond. La destructuration du récit et ce que mon ami Gangoueus appelle la polyphonie (plusieurs narrateurs) qui sont la marque de Toni Morrison sont ici portés à leur plus haut degré et m'ont rendu la tâche dificile. Surtout que la reconnaissance des personnages n'est pas aisé. Mais l'aspect historique est très intéressant et c'est ce qui fait que l'on ne lâche pas le livre. D'autre part, l'écriture est très belle.<br /> <br /> Les enseignants qui proposeront la lecture de ce roman à leur élèves ont ici un exercice tout trouvé : demander la reconstitution des portraits des personnages. Cela peut être très intéressant et éclairer la compréhension du livre. <br /> <br /> Bon courage pour ces semaines de travail qui t'attendent. Si, je passe chez toi mais j'ai tort de ne pas laisser de trace. Et ça, c'est un tort.<br /> <br /> Amitiés.
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C
Bonjour St Ralph,<br /> <br /> Finalement, j'ai eu à la fois tort et raison pour ce qui concerne le dernier Toni Morisson. <br /> Tort, de croire que ce livre pourrait t'intéresser par son aspect historique, d'après l'interview de Toni Morrison à laquelle je faisais référence en te parler de ce livre dans mon dernier message, je pensais que toutes les recherches effectuées sur la condition des noirs à l'époque où elle situe le roman, transparaitrait dans le roman, sans que çà ne devienne un essai, mais apparemment, non...<br /> Raison, sur le fait qu'un esprit curieux et féru de littérature comme toi ne pouvait qu'avoir lu ce livre quand même ! <br /> <br /> Caroline
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S
Apparemment ce livre suscite pas mal d'interrogations.<br /> <br /> Concernant l'appartenance raciale des personnages - comme je l'ai déjà dit - j'ai eu du mal à faire la part des choses. Je voudrais d'ailleurs faire une remarque sur ce chapitre. Il me semble que de plus en plus, volontairement, les écrivains américains ne retiennent pas forcément la couleur comme caractéristique de leurs personnages. Ma compagne qui lisait une auteure américaine dans le même temps où je lisais UN don, avait eu du mal a savoir si la narratrice était noire ou pas. Une cinquantaine de pages après, elle n'était toujours pas fixée sur ce point. Seuls quelques événements ultérieurs ont apporté la précision qu'elle attendait. Elle s'est également trompé sur l'appartenance raciale d'un autre personnage. <br /> <br /> A bien regarder, les américains ont-ils tort de procéder ainsi ? je crois que non. Cependant, je crois aussi que dans l'antiquité, la non caractérisation raciale (disons de la couleur) a porté préjudice plus tard aux Noirs. On parlait des Aficains, des Egyptiens, des Nubiens, des Ethiopiens ; on ne disait pas les Noirs. Or, aujourd'hui, quand nous lisons les auteurs antiques, nous cherchons à savoir si ceux dont ils parlent sont ou non des Noirs ou des blancs. Certains en tirent des conclusions hasardeuses pour leur paroisse.<br /> <br /> Pour ce qui est du titre, ma compagne n'est pas satisfaite du mot don. Elle pense que la traduction aurait dû trouver quelque chose qui se rapprocherait du mot grâce ou rédemption. Comme tu le dis très justement, mon cher Gangoueus, le mot don peut avoir plusieurs sens. La mère peut avoir fait don de sa fille comme pour lui permettre d'avoir une vie meilleure au même titre que le "talent" de la bible que l'on fait fructifier. Mais cela peut être aussi l'abandon. Tel qu'il est présenté dans le texte, il apparaît bien réducteur.<br /> <br /> J'ai aimé la violence et la rudité des sentiments exprimés dans Beloved. Un don m'a semblé trop torturé. Mais il a l'avantage de provoquer des discussions.
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G
C'est une réflexion également sur le don et les différentes façons dont il peut être appréhendé.<br /> <br /> Le don peut être compris comme un abandon, une discrimination, surtout quand il n'est pas expliqué.<br /> <br /> Sous cet angle, les dernières pages de ce roman sont très riches d'enseignement. Et en y réfléchissant, je me demande pas si sous cet aspect, ce livre n'est pas l'antithèse de Beloved.<br /> <br /> Une mère de supprimer une vie, ayant perdu tout espoir. Une mère offre une opportunité d'une autre vie, étant encore habitée par l'espoir. <br /> <br /> Il est vrai que les périodes historiques sont différentes, mais Beloved est tellement violent, si désespéré...
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