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Lectures, analyses et réflexions de Raphaël
10 février 2011

Venus noire (un film d'Abdellatif Kechiche)

                              Venus noire

                                      (Un film d'Abdellatif Kechiche)

Venus_noire_I_0001            L'un des films qui, en France, a profondément marqué la fin de l'année 2010 est sans aucun conteste La venus noire d'Abdellatif Kechiche. Il retient l'attention tout d'abord par le fait qu'il se classe parmi les rares films historiques qui ne flattent pas la conscience européenne sur un sujet ayant une relation avec l'Afrique noire. Il retient ensuite l'attention par sa technicité : les gros plans et la répétition de la scène qui fait du personnage principal une bête que l'on n'apprécie que sortant d'une cage pour être livrée en pâture aux rires et quolibets du public, sous la direction autoritaire et humiliante d'un maître dompteur. Un spectacle dans lequel l'Europe du début du 19è siècle reconnaissait l'Afrique sauvage qui alimentait son imaginaire.

            

            La Venus noire est l'histoire de "La venus hottentote" - Saartjie Baartman, de son vrai nom - cette jeune Noire originaire de la colonie du Cap (région de l'actuelle Afrique du Sud) au postérieur sans doute atteint par quelque éléphantiasis qui, pour cette raison, au début du 19è siècle a été emmenée en Europe (en Angleterre puis en France) pour être exhibée dans les foires publiques comme l'on montrait les ours et autres animaux des contrées sauvages. Présentée comme une semi-sauvage, elle suscita aussi la curiosité des naturalistes français qui en firent un objet d'observation aussi bien de son vivant qu'après sa mort.

            La Cubaine Yamina Torres qui interprète le rôle de la Venus hottentote rayonne dans ce film dans la nature obscure de la femme humiliée qui tente de sauvegarder sa féminité tout en essayant de donner un sens au rôle qu'on lui inflige mais dans lequel elle voudrait se voir artiste. Pas simple. Et c'est ce caractère obscur de l'être dont on ne lit le mal être que dans sa pesante impassibilité qui a dérangé beaucoup de spectateurs quand il ne les a pas bouleversés. « La Venus dérangeante et bouleversante de Kechiche », titrait Le Monde (7 octobre 2010) ; « Cet obscur objet du martyre », notait Télérama (27 octobre 2010).

Venus_hottentote_I_0001

            Que le spectateur blanc de ce début du 21è siècle éprouve un malaise à regarder les images d'un tel spectacle, je le comprends fort bien. Et je dis heureusement ! Mais pousser l'écoeurement jusqu'à conclure qu'en dénudant sa Venus de toute émotion et les autres personnages de toute compassion enlève tout humanisme au film et en fait même « une oeuvre hautaine [...], un miroir glauque dans lequel Abdellatif se regarde complaisamment haïr » comme le dit Cécile Mury dans Télérama, c'est faire au réalisateur un procès qui n'a pas lieu d'être. Pourquoi faut-il que certains Blancs voient toujours dans le miroir du passé qu'on leur tend et qui ne les flatte pas une haine à leur égard ? Il est malheureux de voir trop de gens incapables de regarder notre passé commun en face. Cette attitude est la cause des nombreuses falsifications de certains pans de notre histoire commune.

            Si l'on veut que nos descendants lisent de la compassion dans les récits des vies d'aujourd'hui, c'est maintenant qu'il nous faut montrer un coeur tendre et compatissant les uns à l'égard des autres. Quand on n'est pas capable de comprendre ceux qui vous entourent, on ne doit pas se permettre de chercher l'amour dans son passé.

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            Pour ma part, le jeu peu expansif du personnage de la Venus m'a semblé conforme au caractère des femmes africaines. Aussi, je rejoins l'avis de Samuel Douhair qui voit dans la diction presque atone et le regard dénué d'expression du personnage « une opacité délibérée (qui) est le plus bel hommage qu'Abdellatif Kechiche pouvait rendre à cette femme, opprimée par le regard des autres, jusque dans la mort. » (Télérama du 27 octobre 2010). En effet, comme le dit si bien Thomas Sotinel dans Le Monde du 27 octobre 2010, « Cette pornographie à alibi scientifique née autour des attributs physiques de la jeune femme (son sexe en particulier) peut-elle être montrée sans troubler ? » On peut même se permettre de lui reprendre cette autre question et la généraliser en la posant à tous ceux qui ont vu ou verront le film : « Suffit-il de voir et de s'indigner pour acquitter sa dette à l'égard de la victime ? » Nous transformer pour que ce qui nous indigne aujourd'hui ne se reproduise plus n'est-il pas ce que nous avons de mieux à faire ?

Raphaël ADJOBI

Film français d'Adellatif Kechiche et Ghalya Lacroix (2h39)

Avec : Yamina Torres, André Jacobs, Olivier Gourmet.

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Commentaires
J
Fan d'Abdellattif Kechiche, là il atteint des sommets! J'avais adoré la graine et le mulet et là j'espère quand je verrai ce film que j'attends que s'effacera le choc reçu au Musée de l'homme il y a bien longtemps!
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S
Ton sentiment à la sortie de la pièce que tu avais vue rejoint celui qu'ont éprouvé tous les spectateurs qui ont vu le film. Il y avait déjà dans la salle, une sorte de malaise collectif ; comme si chacun n'aurait pas voulu être vu en train de regarder un tel spectacle. chaque spectateur avait le sentiment d'être complice (comme les spectateurs du film) de ce qui se déroulait sur l'écran. <br /> <br /> Un beau film que je recommande vivement à ceux qui ne connaissent pas l'histoire de cette femme ou qui en ont une vague idée.
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G
Avant d'aborder la question de la vénus hottentote, j'aimerai saluer la forme de ton article, et la critique que tu proposes de la revue de presse sur le sujet. C'est original, pertinent, laborieux mais très intéressant.<br /> <br /> Je ne suis pas allé voir ce film. L'année dernière, j'ai vu la pièce de théâtre de Suzan Lori-Parks à l'Athénée Jouvet Théâtre. Gina Djemba était la vénus. On ne sort pas indemne de ce type de représentation. Je n'ai pas voulu me remettre dans cette configuration d'autant que j'étais convaincu que le regard sensible de Kéchiche allait bouleverser.<br /> <br /> Merci!
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