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Lectures, analyses et réflexions de Raphaël
24 octobre 2018

Nicolas Hulot et la morale du chasseur : déconstruire le récit du chasseur

      Nicolas Hulot à l'épreuve de la morale du chasseur :

                           déconstruire le récit du chasseur

(Ecrit au moment de la démission du ministre de l'environnement, j'avais finalement préféré ne pas publier ce billet, l'ayant jugé trop loin des connaissances et préoccupations du public français. Maintenant que les passions ont perdu leur vigueur, on peut le lire avec une attention particulière.) 

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            Le chasseur a un argumentaire qui soutient une morale simple : tuer les animaux, c'est faire du bien à la nature, c'est participer à la survie de l'écosystème ! Aussi, depuis des siècles, le discours du chasseur n'a jamais varié, quelque soit la nature du gibier qui doit tomber dans ses rets ou sous ses balles. En effet, les arguments que les chasseurs de gibier humain ont avancé hier pour justifier leur action prédatrice sur le continent africain du XVIe au XIXe siècle sont ceux qu'ils avancent aujourd'hui auprès de leurs gouvernants pour perpétuer une pratique qui traduit l'égoïsme et la volonté de puissance de l'homme européen sur les animaux. Oui, parce que le sauvage est le miroir de l'homme occidental (Marylène Pathou-Mathis), l'on peut dire avec Jean de La Fontaine que celui-ci est de ces gens-là qui sur les animaux et les humains réduits en sauvages se fait un chimérique empire.

            D'abord, le chasseur commence toujours par souligner chez l'animal qui est dans sa visée la singularité de son caractère qui le rend, selon lui, incompatible avec le milieu naturel de notre planète qu'il croit mieux connaître que quiconque : prolifération anarchique de cette espèce qui menace notre écosystème, une férocité ou une violence qui rend toute cohabitation impossible ou précaire, une vie sociale qui ne répond pas à sa morale chrétienne ou autre. Jamais le chasseur ne mentionne la motivation première de son entreprise : l'appât du gain et la démonstration de sa puissance ; une volonté de puissance qui lui procure une indéfinissable et nécessaire jouissance.

            Ensuite, le chasseur ne manque jamais de mettre en valeur le sentiment qu'il a de sa propre humanité qu'il prend soin d'opposer à la barbarie des êtres lointains dits sauvages ou à l'absence de sentiment et de raison chez les animaux. Ces deux catégories d'êtres n'ont-ils pas en partage la stupidité qui les distingue de lui, homme doué de raison et de sentiments nobles ? En effet, lui ne tue jamais de manière barbare mais intelligente. En période de reproduction, il prend soin, assure-t-il, de ne tuer que les mâles. D'autre part, son souci est d'épargner les femelles qui portent encore en leur sein leurs petits. Enfin, dans sa suprême humanité, il abat ou capture la femelle et épargne ses petits quand il les juge assez grands pour subvenir à leurs besoins et plus tard régénérer leur espèce.

            Du XVIe au XIXe siècle, les négriers et les esclavagistes européens, ardents chasseurs de gibier humain qui déportèrent des millions de captifs Africains vers les Amériques ont tenu le même discours à l'encontre des populations autochtones du Nouveau monde, puis contre les Africains. Tout en peignant une Afrique vouée à une barbarie innommable, ils ont d'abord prélevé sur ce continent les mâles les plus robustes, puis avec eux les jeunes femmes sans enfants témoignant ainsi, disaient-ils, du grand sens de l'humanité et de l'ordre naturel des choses qui les habitaient. Enfin, l'appétit venant en mangeant, ils ont enlevé femmes et enfants, toujours par souci d'humanité qui ne veut pas que l'on sépare une mère de sa progéniture. Cette déportation devint si grande qu'au XVIIIe siècle, la majorité des captifs noirs envoyés dans le Nouveau monde était des adolescents. Mais dans le discours des négriers qui nous sont parvenus demeure l'idée selon laquelle ils ont, par cette action, sauvé de millions de Noirs d'une vie affreuse entre les mains de chefs africains sanguinaires. C'est clairement l'idée exprimée par William Snelgrave dans son livre Journal d'un négrier au XVIIIe siècle. Priver les femelles et les enfants de leur compagnon et père, séparer définitivement mères et enfants n'a jamais été perçu par le chasseur comme un acte criminel. Réfléchissant toujours à la place du sauvage et de l'animal qu'il loge au même étage ou à des niveaux très voisins dans l'échelle des êtres, il ne voit que le bien dans les actions qu'il mène à leur encontre.

            Comme d'une façon générale les victimes ne laissent pas de trace écrite, aux yeux de la postérité, le récit du chasseur ne respire que sa grande humanité et son héroïsme. Ce qui fait dire aux Africains que "tant que les lions n'auront pas leurs propres historiens, les histoires de chasse glorifieront toujours le chasseur". Aussi, l'on peut dire à tous ceux qui, par malheur, tourneront les pages de l'histoire humaine écrites par les négriers sans les avoir lues et déconstruites, qu'ils laisseront dans l'esprit des futures générations la version des choses selon les chasseurs. Car sur les faits, ceux qui laissent des traces écrites ont toujours raison aux yeux de la postérité.

Raphaël ADJOBI               

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