Batouala, véritable roman nègre (René Maran) - Une analyse de Raphaël ADJOBI
BATOUALA
Véritable roman nègre
(René Maran)
Quand on sait que ce classique de la littérature française a obtenu le prix Goncourt en 1921, et surtout qu'il a provoqué une indignation générale dans les milieux politiques de l'époque, on le lit avec la fièvre d'y découvrir un récit enflammé contre la colonisation, cette entreprise de «destruction des cultures africaines et de leurs modes d'expression» afin d'imprimer dans la conscience des Noirs "la supériorité de la culture occidentale". A vrai dire, cette critique est bien timide, pour ne pas dire à peine perceptible.
Il est donc nécessaire de se plonger dans le contexte historique pour comprendre pourquoi Batouala a été à la fois salué par un prix et des cris d'horreur. En effet, à l'époque des expositions coloniales célébrant le rayonnement de son empire colonial, à l'heure où de nombreux intellectuels étaient convaincus du devoir de la France de civiliser les peuples de ses colonies africaines, présenter cette entreprise comme celle de la destruction des cultures africaines semblait alors totalement irrévérencieux et même antipatriotique.
C'est donc cette singularité du discours introduisant ce récit - plus que le bref passage du livre où les Noirs jugent les colons - qui a retenti comme une détonation dans le beau paysage de l'esprit colonial de l'époque. En effet, si avant Cheik Hamidou Kane, avec L'aventure ambiguë (1961), René Maran a été le premier Français à faire des Noirs des personnages principaux jugeant les Blancs - les personnages secondaires - il a surtout été le premier, avant Aimé Césaire avec son Discours sur le colonialisme (1950), à pourfendre le colonialisme dans l'introduction de Batouala. C'est cette audace de René Maran qui lui a coûté son poste d'administrateur des colonies en Oubangui (actuelle Centrafrique) et a fait de lui l'un des précurseurs de la négritude.
© Raphaël ADJOBI
Titre : Batouala, 186 pages
Auteur : René Maran
Editeur : Magnard, Classiques contemporains, 2002.