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Lectures, analyses et réflexions de Raphaël
2 février 2020

La traite négrière dans les manuels scolaires français

La traite négrière dans les manuels scolaires français 

       Rappel : en France, si «les programmes sont nationaux et définis par le ministère de l’Education nationale […], le contenu des manuels est déterminé par les éditeurs et la seule loi du marché. Le choix de la langue et du style, la sélection des sujets et des textes, l’organisation et la hiérarchisation des connaissances obéissent à des objectifs politiques, moraux, religieux, esthétiques, idéologiques, économiques explicites et implicites» (François Durpaire et Béatrice Mabilon-Bonfils - Fatima moins bien notée que Marianne, éditions, de L’Aube, 2016). A regarder les choses de plus près, un manuel scolaire est à la fois «un support de la conservation de ce qu’une société choisit de dire d’elle-même, la trace des choix scolaires d’une époque», avant même d’être un support de transmission de connaissances. Ce qui veut dire clairement que «les manuels scolaires ont un rôle dans la formation des normes et des opinions des élèves» (id.).

       Et concernant précisément l’enseignement de la traite négrière atlantique, il convient de voir ensemble comment ce sujet est traité dans nos manuels scolaires pour comprendre l’opinion que l’on entretient dans la conscience des élèves, les citoyens de demain.

       Mais il convient de rappeler aussi que c’est en 2008, suite à la loi Taubira de 2001 reconnaissant la traite et l’esclavage des Noirs dans les Amériques et dans l’océan Indien comme crime contre l’humanité, que l’obligation d’enseigner ce sujet est inscrit au programme des classes de quatrième. Il y a donc seulement 12 ans que ce pan de l’histoire de France a fait son entrée dans les collèges, sans jamais avoir fait, au préalable, l’objet d’enseignement dans nos universités. En joignant cette carence pédagogique en amont à ce que nous avons dit en introduction quant aux règles qui président à l’élaboration des manuels scolaires, on n’est pas étonné de voir leur contenu se situant parfois très loin de la vérité des faits historiques. Parler alors de fabrique d’opinions ne serait pas exagérer. 

Une gravure de propagande pour former une opinion générale

       Ainsi, une gravure de propagande contre les abolitionnistes au XVIIIe siècle est reprise dans presque tous les manuels scolaires sans même aucune considération pour le message absolument faux qu’il véhicule. On peut y lire «Marchand d’esclaves de Gorée». Depuis douze ans, ni les éditeurs, ni les usagers n’y trouvent rien à redire. Or, l’île de Gorée n’a jamais été un marché aux esclaves mais un camp de concentration des captifs loin des leurs dans l’attente de leur embarquement vers les Amériques. C’est comme si on enseignait quelque part dans le monde qu’Auschwitz était un camp de vacances pour juifs. A la vérité, il n’y a jamais eu de marché aux esclaves sur les côte du golfe de Guinée puisque tous les Africains déportés dans les Amériques étaient des personnes capturées comme du gibier ; donc des captifs et non des esclaves.

       Depuis deux ou trois ans, sans doute attentif aux nombreux voyages des Africains-Américains à l’île de Gorée devenu un lieu de mémoire, un éditeur décida d’enlever à cette image du XVIIIe siècle son titre originel qui témoigne sûrement de l’ignorance de son auteur pour le remplacer par un autre encore plus trompeur. On peut désormais lire dans certains manuels sous cette gravure : «Un marchand européen et un vendeur d’esclaves africain». En généralisant ainsi le titre, le crime devient parfait ; on laisse croire que partout en Afrique - précisément dans le golfe de Guinée - il y avait des marchés aux esclaves où les négriers européens allaient faire leurs courses. Et tout le monde adhère à ce qui est affirmé comme une indéniable vérité, puisqu’elle s’appuie sur une image du XVIIIe siècle !

       Certains manuels scolaires poussent même l’audace jusqu’à ajouter à cette gravure des commentaires personnels n’ayant aucun lien avec l’histoire de l’esclavage. Ainsi, cet éditeur se permet d’ajouter que «les esclaves portent le collier de la servitude». Vous ne trouverez nulle part chez les historiens anglais et américains que les Africains portaient un collier signalant leur état de servitude. 

       Sur l’une des deux images ci-dessous, il est encore fait mention du «collier de la servitude». Ce collier censé être porté depuis l’Afrique – image précédente – apparaît différent sur l’image ci-dessous. Les européens marquaient-ils l’état de servitude de leur domestique par un collier ? Là, c’est aux Européens de répondre à cette question. Quant au collier de servitude de la première image, il n’a jamais existé. Aucun peuple du golfe de Guinée n’a jamais pratiqué l’esclavage pour identifier l’esclave par un collier. 

                            La réalité sur le terrain africain

       Solidement installés dans des forts qui constituent leurs bases militaires, Les Européens font la loi. Tout chef africain qui n’exécute pas leurs volontés devient leur victime en même temps que l’ensemble de son village, C’est dans ces forts – bien protégés des Africains et de la cupidité de leurs concurrents – que les Européens entassaient les captifs avant l’arrivée des navires négriers. Le fort de Gorée (au large de Dakar au Sénégal) n’est absolument pas un cas exceptionnel. Aucun historien n’a démontré l’existence de marchés aux esclaves sur les côtes de l’Afrique où opéraient les européens.

       A partir de ces forts militaires appelés comptoirs ou captiveries – parfois «esclaveries» - les émissaires de chaque royaume européen organisaient les captures d’êtres humains en s’appuyant sur les Africains qu’ils pouvaient terroriser ou corrompre. En effet, grâce aux produits venus d’Europe, ces émissaires obtenaient la collaboration de certains chefs africains et de groupes de trafiquants attirés par l’appât du gain. L’histoire nous enseigne que tout envahisseur ou occupant suscite des «collabos». En quatre cents ans de traite, un seul de ces forts a été pris par les Africains. 

       Cette technique sera la même qui sera utilisée par la France au XXe siècle pour obtenir la contribution de ses colonies aux deux guerres mondiales contre les allemands : «la France recourt à la voie d’appel, notamment en Algérie avec l’aide active des chefs locaux qui perçoivent une prime par homme enrôlé. C’est en Afrique noire que la force a été le plus employée pour obtenir le nombre de volontaires requis […] Chaque cercle est tenu de fournir un certain nombre de recrue» (Armelle Mabon – Prisonniers de guerre indigènes, visages oubliés de la France occupée – Archives nationales Paris, 1990 – Cdt Maloux, Le tirailleur sénégalais de la 9e division d’infanterie coloniale, cité par Armelle Mabon).

Remarque : en France, dans les manuels scolaires et les livres d’histoire, quand il s’agit des Africains, on ne fait jamais la différence entre un captif (un prisonnier) et un esclave (celui dont on exploite la force physique par le travail). Aline Helg (Suissesse – Plus jamais esclave, 2016) et Markus Rediker (Américain – A bord du négrier, 2013) sont les deux historiens qui se sont clairement désolidarisés de cet amalgame délibéré pour laisser croire que les africains déportés étaient déjà des esclaves en Afrique.

Raphaël ADJOBI

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