Moi, Tituba sorcière... (Maryse Condé)
Moi, Tituba sorcière…
(Un roman de Maryse Condé)
Voici un beau roman, écrit dans une langue agréable qui réjouira de nombreux lecteurs ; du moins ceux aimant toucher la réalité de l’histoire à travers la fiction qui s’en empare pour aller plus loin afin de donner des visages et de l’étoffe aux personnages oubliés. Les procès de sorcières, l’Europe en a perdu le compte. A toutes les époques, comme le montrait Olivia Gazalé dans Le mythe de la virilité, la femme européenne a été la proie facile des hommes. Et quand le christianisme s’en est mêlé, on a touché le paroxysme de leur folie. C’est dans cet univers des dénonciations de tout ce qui est quelque peu différent ou singulier, dans cet univers de chasse générale aux sorcières qu’une jeune esclave née d’une captive africaine va sombrer pour ne plus en sortir.
Née d’une mère violée par les « marins blancs » – eux-mêmes esclaves des négriers comme le démontra l’anglais Thomas Clarkson à la fin du XVIIIe siècle – et chassée par son propriétaire lorsque celui-ci se rendra compte qu’elle est enceinte, Tituba grandira dans la clandestinité à la Barbade. Avant de mourir, sa mère, paria dans cette îles des Amériques esclavagistes et jouissant par conséquent d’une singulière autonomie, lui a transmis l’art des soins par les plantes que les mauvaises langues ont popularisé sous le vocable « fétichisme » pour le rendre condamnable. Et pour son malheur, bientôt l’amour arrache la jeune adolescente à son indépendance pour la lancer dans des pérégrinations avec John Indien, un esclave qui a décidé de « jouer à la perfection son rôle de nègre » pour mener auprès de ses différents maîtres et maîtresses un train de vie qui le distingue des autres esclaves domestiques.
Moi, Tituba sorcière... est d’abord un excellent récit de la condition des esclaves noirs de maison. Les viols, la jalousie, la haine, le mépris sont le lot constant des jeunes Africaines. Et comme elles sont chargées de l’éducation des enfants, elles finissent par reconnaître qu’elles élèvent des vipères qui, le moment venu, leur arracheront le nez, ou des corbeaux qui leur crèveront les yeux. Le livre est aussi un beau réquisitoire contre les procès en sorcellerie qui frappent les femmes comme la peste. Car, même si « la déveine, c’est la sœur jumelle du nègre », les multiples procès déchirent les familles blanches et contraignent les femmes de toute condition sociale à vivre dans la peur de leurs maris. En effet, comme le dit si bien l’épouse d’un pasteur, les procès en sorcellerie, on ne peut « comparer cela qu’à une maladie que l’on croit d’abord bénigne parce qu’elle affecte des parties du corps (social) sans importance… puis qui graduellement s’attaque à des membres et à des organes vitaux ». Tituba quant à elle apprendra à ses dépens que « Blancs ou Noirs, la vie sert trop les hommes ».
Raphaël ADJOBI
Titre : Moi, Tituba sorcière… 278 pages.
Auteur : Maryse Condé.
Éditeur : Mercure de France, 1986, collection Folio, 1998, 2020.