L'amère patrie, Histoire des Antilles françaises au XXè siècle (Jacques Dumont)
L’amère patrie
Histoire des Antilles françaises au XXè siècle
Quiconque lira ce livre en fera son bréviaire chaque fois que le besoin de connaître un aspect des Antilles françaises se fera sentir. Son organisation en une multitude de chapitres permet de le consulter aisément, bien que son abord soit assez rebutant du fait des nombreux renvois aux notes regroupées en fin d’ouvrage. Dommage car c’est un texte passionnant où les documents de presse (antillaise) et de l’administration ainsi que les extraits de discours politiques prennent une grande place.
C’est la peinture de la longue et pénible marche des Antillais vers la pleine reconnaissance de leur citoyenneté française et de leur totale assimilation aux enfants blancs de la France que Jacques Dumont nous donne dans ce livre. Car, « Si tous les habitants de Guadeloupe et de Martinique, comme ceux de Guyane et de la Réunion, ont été, avec l'abolition de 1848, déclarés citoyens français, ils sont néanmoins restés colonisés pendant encore un siècle ». Il aurait pu dire « plus d'un siècle » puisque les luttes se sont poursuivies au-delà des années soixante. Chacun pourra découvrir dans ce livre que la théorique égalité citoyenne instaurée avec l'abolition définitive a été régulièrement bafouée. D’abord avec la suppression du suffrage universel et la représentation des Antilles au Parlement. Ensuite avec le retard pris par la mise en place de la départementalisation pour les Antilles. Quant à la Sécurité Sociale, son application dans ces anciennes colonies donna lieu à des débats épiques. L’auteur nous présente ici une foule de situations administratives et de décisions politiques qui ne peuvent qu’étonner le lecteur.
L’amère patrie montre de façon évidente que tout est flou concernant les Antilles, sur les plans juridique, administratif, social. Jamais rien ne semble urgent pour tout ce qui les concerne. Tout est fait avec beaucoup de retard, quand quelque chose est fait. Souvent ce qui est fait se limite à des décisions ou des décrets jamais suivis ou appliqués. Tout laisse croire que les Antillais ne sont jamais assez Français pour mériter le même traitement que les autres citoyens sans des discussions supplémentaires préalables.
Or, au sortir de l'esclavage, leur âme et leur esprit étaient tendus vers l'assimilation, prêts à se sacrifier pour « la mère patrie ». Les premiers chapitres du livre sont même émouvants : lorsque la guerre franco-prussienne éclata en 1851, les hommes refusant d'être assimilés aux autres Noirs des autres colonies, se montrèrent plus patriotes que les Français de la métropole en revendiquant leur participation à l’effort militaire. Mais cela leur fut refusé parce qu'il ne fallait pas enlever aux colons leur main d'oeuvre servile dans les champs de canne ! Et quand l'Etat cède, il ne cède qu'à moitié en créant en métropole « un contingent de troupes coloniales » pour les Antillais, comme pour freiner leur assimilation. D’autres revendications suivront et se heurteront toutes au silence, à la lenteur administrative.
De temps à autres les revendications cèdent la place à la déception et à l'exaspération. Alors devant leurs mouvements, périodiquement, on voit les autorités de la République « agiter le chiffon rouge de l'abandon ». Celles-ci ne se rendent même pas compte, remarque l’auteur, que le simple fait de parler d'abandon c'est reconnaître que l'intégration des populations de ces anciennes colonies est incomplète.
Dans l’histoire entre la France métropolitaine et les Antilles, Jacques Dumont note une période cruciale qui se situe entre 1960 et 1970. D’une part, la société antillaise qui était jusque là une société de plantations bascule dans la société de consommation. Les grands planteurs se reconvertissent dans l’importation massive de marchandises déséquilibrant les échanges avec la France. D’autre part, la politique de transplantation d’une multitude d’Antillais en métropole qui fut entreprise durant cette période les fit découvrir brutalement « qu’ils étaient des Nègres comme tous les autres » (Aimé Césaire). Le rêve d’assimilation s’envole !
Mais comme durant les années de revendication d’une totale assimilation ils ont nié leurs caractères proprement africains, voilà que les Antillais se sentent désormais obligés de « s’employer consciemment à l’élaboration d’une culture originale » qu’ils ne veulent pas considérer comme la somme de l’Afrique, de la France et de l’Asie. C’est donc récemment qu’apparaît les termes « créolité » et « créolisation » dont les contours restent flous. Le lecteur peut se demander avec Michel Leiris si la culture s’invente avec « une pléiade d’intellectuels de couleur ». On ne peut donc qu’être d’accord avec Joël Nankin quand il dit « (qu’) en plaçant la politique au-dessus de la culture, (les Antillais) avaient mis la charrue avant les bœufs ».
Il est donc clair que c’est l’échec de l’assimilation qui a poussé les Antillais à se raccrocher à ce qui ne leur rappelle pas l’Afrique et les singularise par la même occasion par rapport à la France colonisatrice : la langue créole. Maigre caractérisation certes, mais qui constitue un canal d’affirmation de soi parce qu’elle est considérée comme la naissance d’une ethnie, d’un groupe socio-politique. Mais, outre ce caractère linguistique auquel on s’accroche comme à une bouée de sauvetage, il reste à étoffer l’âme antillaise qui ne peut se limiter à la langue et aux rythmes musicaux. Une question demeure : peut-on renier à la fois ses ancêtres et sa mère adoptive et prétendre conserver son âme ?
Raphaël ADJOBI
Titre : L’amère patrie, Histoire des Antille
françaises au XXè siècle, 351 pages
Auteur : Jacques Dumont
Edition : Fayard, mars 2010