Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Lectures, analyses et réflexions de Raphaël
5 février 2009

Race et esclavage dans la France de l'Ancien Régime

Race_et_esclavage                Race et esclavage

 

Dans la France de l’Ancien Régime

 

            Pierre H. Boulle, Français d’origine mais ayant accompli toute sa carrière universitaire outre-Atlantique, entreprend dans ce livre des recherches sur l’origine du racisme français. Le sujet avait également retenu l’attention d’Odile Tobner dans son livre Du racisme français. Mais ici, il n’est point question de la dénonciation d’une pratique mais la recherche de son histoire et des courants qui l’ont nourrie². 

            Dans un premier chapitre, Pierre H. Boulle nous montre comment s’est construit le concept de race qui s’est insinué dans toute la société et la culture française. Certes, depuis le début de la traite négrière au 16è siècle, les rapports entre les Blancs et les Noirs étaient entachés par toutes sortes d’inégalités, d’injustices flagrantes et d’actives cruautés ; et il est certain que la différence de couleur y était pour quelque chose. Toutefois, ce n’est qu’à partir du 18è siècle que l’on a commencé à théoriser sur l’existence de « races naturellement prédominantes et de races naturellement débiles » en se basant sur les connaissances des sciences naturelles de l’époque qui se voulaient « objectives » et immuables à l’image de la physique de Newton. L’auteur fait remarquer que le succès des chapitres « De la nature de l’homme » et « variété dans l’espèce humaine » de la volumineuse Histoire naturelle, générale et particulière (1749-1788) de Buffon et les travaux de François Bernier sur la « Nouvelle division de la Terre » en « quatre ou cinq Espèces ou Races d’hommes » ont contribué à conforter les phénomènes racistes qui se manifestaient et se multipliaient dans la société des colons venus des Antilles. Les préjugés culturels nés des croyances religieuses ont été ainsi remplacés par des préjugés « racistes » nés de connaissances pseudo-scientifiques affirmant que le « noir » s’était séparé du type européen originel par l’effet du climat. On peut donc affirmer que la responsabilité de l’élite intellectuelle dans l’ancrage du racisme en France est indéniable.

            « Avant l’établissement de l’esclavage aux Antilles, les quelques visiteurs venus d’autres continents étaient considérés en France comme des êtres exotiques, l’objet d’un vif intérêt plutôt que de suspicions ou de peurs. » Le préjugé tiré de la religion selon lequel la couleur noire serait la marque de la malédiction prononcée par notre ancêtre commun était purement d’ordre culturel et non point racial et existait déjà au Moyen âge avant que les Espagnols ne s’en servent pour justifier l’esclavage au 16 è siècle. Avec l’établissement de l’esclavage aux Antilles dans la deuxième moitié du 17è siècle, les comportements vont changer. Le deuxième chapitre du livre montre comment devant le principe selon lequel le droit français ne reconnaît pas l’esclavage sur le sol métropolitain, la question du statut des esclaves et des gens de couleurs libres en métropole devient un sujet de combats politiques et juridiques. La vocation négrière des ports français avait fini par chosifier les Noirs qui étaient devenus des « bois d’ébène », transformant ainsi les victimes en articles ordinaires de commerce. Devant l’introduction en métropole de Noirs qui souvent ne manquaient pas de demander leur liberté sur la base du principe cité plus haut, les planteurs, les négriers et leurs soutiens politiques ne vont pas manquer de les charger de caractères de plus en plus inquiétants aussi bien pour la sécurité publique que pour la pureté du sang blanc. Sous leurs pressions des lois et des mesures administratives naîtront pour opérer une sorte de déclassement moral ou psychologique où le Noir libre est l’étranger par rapport à « la population citoyenne attachée à la France par les liens de patrie et de consanguinité » : Chasse à l’homme et renvoi aux Antilles (aujourd’hui les « charters »), création de « dépôts de noirs » dans les ports en 1777 (aujourd’hui « centres de rétention »), interdiction du mariage mixte en 1778. Le racisme français tire donc également son origine de la politique, des législations et des institutions.

            Le troisième chapitre nous plonge dans le monde des non-Blancs dans la France de la fin du 18 è siècle. Chapitre très intéressant parce qu’il nous montre les multiples visages de la condition des noirs dans la France métropolitaine à la veille de la Révolution.  Les non-Blancs venus des Antilles, d’Afrique et de l’Inde étaient environ 4 à 5000 personnes en 1777, dont 765 à Paris. Cependant, cette maigre population fera l’objet d’une multitude de mesures discriminatoires de la part du gouvernement. Ainsi, sur les 169 non-blanches identifiées à Paris, les deux prostituées qui y figurent ont suffi pour provoquer des mesures de santé publique. Quand bien même les 169 non-blanches seraient toutes des prostituées, note l’auteur, elles n’auraient constitué qu’une goutte d’eau par rapport aux 10 000 à 15 000 prostituées et libertines blanches recensées dans cette ville. Ce chapitre nous donne un aperçu des liaisons et des mariages mixtes ou le plus souvent l’homme est noir et la femme blanche. Ce chapitre nous donne aussi un aperçu des activités des noirs : domestiques, perruquiers, pâtissiers, couturières, de nombreux cuisiniers et 94 cuisinières dont 18 esclaves, garçons de bureau dans l’administration, une douzaine d’hôteliers et hôtelières, logeuses, aubergistes. En cette fin du 18 è siècle, on recense vingt-deux enfants et jeunes adultes qui ont reçu une bonne éducation. Parmi eux, trois collégiens (connaissance du latin) et deux étudiants : l’un en chirurgie et l’autre étudiant en « arithmétique et architecture ».

            Tout cela nous permet de croire que le haut niveau d’instruction du chevalier de Saint-Georges, violoniste, compositeur, chef d’orchestre et directeur de théâtre chez le duc d’Orléans, escrimeur de talent et futur comandant des Hussards américains (volontaires de couleurs) aux débuts des guerres révolutionnaires n’était pas un cas isolé dans cette France de la fin du 18è siècle. C’est en effet dans ce dernier chapitre – fait de statistiques et de comptes rendus des registres administratifs – que l’on se rend compte à quel point le racisme français n’a pas été au départ le fait de comportements hostiles de la population blanche mais plutôt un travail des intellectuels, de l’administration et des hommes politiques qui avaient surtout le souci de satisfaire les exigences des colons des Antilles. En mettant en place en métropole des mesures tendant à la fois à leur rendre la vie désagréable et aussi à les discréditer aux yeux de la population,  les hommes politiques ont semé des idées et initié des pratiques que le commun des Français a fini, avec le temps, par considérer comme choses ordinaires et dignes de foi.

            A la lecture de ce livre, il apparaît clair que si les Amérindiens n’avaient pas été incapables d’exploiter la canne à sucre qu’exigeait l’Europe, et si la main d’œuvre européenne n’avait pas été elle-même incapable de suppléer celle des natifs de ce continent, la traite des noirs n’aurait jamais eu lieu et avec elle les préjugés raciaux attachés à l’homme noir d’aujourd’hui. On remarquera cependant que depuis le 18 è siècle, les écrits des Européens ne cessent de souligner la paresse des Noirs. Heureusement, l’histoire nous enseigne que cela fait partie des éléments ordinaires du dénigrement de cette population qu’entretient la mauvaise foi de certains.

 

Raphaël ADJOBI

 

Titre : Race et esclavage dans la France      

           de l’Ancien Régime            

Auteur : Pierre H. Boulle    

Edition : Perrin

Publicité
Commentaires
S
Ta réaction m'a fait plaisir Aïda. En lisant la dernière partie du livre de Pierre H. Boulle, j'ai été surpris par le nombre de Noirs qui au 18è siècle en France menaient librement une activité lucrative, se mariaient et n'étaient pas forcément rejétés par leur belle-famille. <br /> J'ai bien aimé l'histoire de Pierre Almoradin, un Noir originaire du Golfe de Guinée, qui fut marié à la fille d'un chaudronnier avec qui il s'établit à Bû (Eure-et-Loir) et dont il eut 14 enfants. Pierre H. Boulle rapporte dans son livre de nombreux cas de Blancs qui ont pris soin des enfants qu'ils ont eu avec des Noires. <br /> On voudrait aujourd'hui nous faire croire que les Noirs sont plus acceptés qu'aux siècles passés. C'est bien le contraire. Au 19 è siècle, il y avait 15 députés noirs à l'assemblée. On oublie aussi qu'un Noir a été Président du Sénat français et aurait pu devenir Président de la République. Mis c'est René Cotty qui a triomphé au final. Depuis 1960, les députés Noirs à l'asemblée Nationale française sont devenus rares.
Répondre
A
Tout à fait St-Ralph. <br /> Pour confirmer, il suffit de voir le comportement et les relations qui existent entre les noirs et les européens du nord ( Allemagne, Suède, Finlande, Hollande, Norvège etc...., à quelques exceptions prés). Ces derniers sont très admiratifs et attirés par les noirs, hommes ou femmes. Ils sont aussi plus respectueux. Les noirs sont très recherchés, et on y voit des célébrités ou milliardaires blancs ,qui ont donc le choix, épousant des femmes noires.<br /> Les Européens du nord qui n'ont jamais ou peu été en contact des noirs (esclavage, colonisation) n'ont pas disposé de cette littérature de pseudo-scientifiques, dont le seul but était de chosifier l'homme noir, pour mieux en tirer profit par la suite ,le maintenir dans un état d'esclavage et de dépendance qui est encore d'actualité.
Répondre
R
1. Omission du mot "foi" dans la dernière phrase. Lire "Heureusement, l'histoire nous enseigne que cela fait partie des éléments ordinaires du dénigrement de cette population qu'entretient la mauvaise foi de certains".<br /> <br /> 2. Dans la première phrase du dernier paragraphe, lire "incapables d'exploiter la canne à sucre qu'exigeait l'Europe".
Répondre
Publicité
Publicité