Ces Noirs qui ont fait la France
Ces Noirs qui ont fait la France
Ce livre est un choix extraordinairement judicieux de figures historiques noires de l’Histoire de France. Des figures noires qui dépassent de loin beaucoup de noms pour lesquels la France brûle des encens. En le lisant, j’ai eu souvent ce mot à l’esprit : émouvant !
Benoît Hopquin commence son livre par le portrait du chevalier de Saint Georges dont j’ai longuement parlé dans un article en 2007. Celui qui connaît son histoire n’apprendra rien de nouveau mais aura le plaisir de le voir peint dans l’univers aristocratique de son siècle. N’oublions pas que s’il est né esclave, Saint-Georges est un noble qui a vécu comme tel malgré le racisme de ceux qu’il côtoyait. Certains portraits de ce livre sont une mine de connaissances comme celui de François-Auguste Perrinon, premier Noir polytechnicien (1832) qui fut un collaborateur de Victor Schoelcher dans le mouvement abolitionniste et associé à la rédaction de l’acte d’abolition. Le portrait de Blaise Diagne - « plus patriote dans sa dévotion à la France que bien des Français » - éclaire le penchant des intellectuels Sénégalais comme Lamine Gueye et Senghor à placer leur foi dans l’égalité entre Noirs et Blancs dans l’empire français au lieu de rechercher l’indépendance, c’est à dire à se montrer des ardents défenseurs de l’assimilation alors que visiblement la France méprisait cet idéal.
C’est un véritable bonheur de découvrir des vies comme celle de Edmond Albius, cet esclave qui découvrit à 12 ans, sur l’île de la Réunion, la technique de la fécondation artificielle de la vanille alors que les savants échouaient lamentablement ; celles, révoltantes, de quelques noirs ardents combattants et résistants pendant la deuxième guerre mondiale, sauvagement passés par les armes des Nazis alors que ceux-ci épargnaient les prisonniers français blancs ; celle aussi de René Maran, le premier romancier noir couronné d’un prix littéraire français le 14 décembre 1921 à 34 ans. Après Jean-Jacques rousseau avec son Discours sur les sciences et les arts et avant Aimé Césaire avec son Discours sur le colonialisme, la préface de son roman Batouala va engendrer en France l’une des plus retentissantes polémiques littéraires du 20è siècle avec le racisme de bon nombre de critiques en prime. Portrait passionnant aussi que celui de Gaston Monnerville président du sénat pendant plus d’une vingtaine d’années. Premier et dernier sénateur noir élu en métropole, il oeuvra, à la demande de De Gaulle, à l’établissement de la Vè République avant de devenir un farouche opposant à ce dernier. Tous, comme Césaire et Senghor ont combattu pour la France ou ont lutté pour l’équité et la justice en son sein.
Mais entre tous, les portraits les plus émouvants sont certainement ceux de Jean-Baptiste Belley, le député de Saint Domingue qui mènera une lutte anti-esclavagiste éblouissante ; Louis Delgrès, qui mériterait d’être élevé au rang d’icône universelle de la liberté tant son sacrifice est immense ; et Félix Eboué, le premier résistant français sans qui l’appel du 18 juin de De Gaulle n’aurait eu aucun sens. C’est en effet Félix Eboué qui, contre l’avis de ses supérieurs et du gouvernement de Vichy et contrairement aux autres gouverneurs, va mettre l’armée du Tchad à la disposition de De Gaulle et lui conférer une certaine légitimité aux yeux des Anglais. Le fait qu’il soit le premier résistant de la dernière guerre à dormir au panthéon n’est que justice.
Voilà donc pour les peuples noirs d’Afrique, des Caraïbes et d’ailleurs des héros illustres dont les noms - bannis ou indésirables en France - mériteraient de figurer aux frontons des écoles ou d’être portés par des rues citadines. Tout simplement parce qu’en luttant pour la France parce qu’ils étaient Français, ils ont lutté pour la justice à l’égard des Noirs. Le fait que le livre replace chacun des personnages dans l’histoire de la vie politique de son époque le rend très passionnant. Ainsi chacun d’eux apparaît comme une fenêtre sur un monde : la noblesse du 18 è siècle avec Saint Georges, les luttes abolitionnistes avec Jean-Baptiste Belley et François-Auguste Perrinon, etc… Mais les images manquent cruellement à cet ouvrage. On aimerait découvrir le portrait de Jean-Baptiste Belley que l’auteur a vu au château de Versailles ; un beau portrait, dont il fait une magnifique description. On lit ce livre conforté dans l’idée que l’abolition de l’esclavage n’est pas le fait de quelques volontés blanches philanthropes mais avant tout la réalité de luttes constantes de populations noires avec des leaders cultivés et amoureux des libertés et des règles d’équité prônées par les institutions françaises. D’autre part, ce livre montre que l’absence de figures noires dans les manuels d’histoire est une injustice, car la France compte des intellectuels noirs abolitionnistes, des officiers noirs ardents adversaires des Nazis et de leurs collaborateurs pendant que de nombreux français blancs se planquaient en zone libre ou se contentaient d’écouter l’appel de De Gaulle sans y répondre.
Il faut signaler aussi l’excellente préface de l’auteur qui justifie ses choix. Quant à ceux qui oseraient qualifier son œuvre d’entreprise communautariste ou raciste, il répond tout simplement : « Que Saint-Georges, Delgrès, Eboué ou le tirailleur Maboulkede reprennent leur place, rien que leur place, au cœur de notre mémoire nationale, et tout sera pour le mieux. » Il rejoint ainsi la pensée de Delgrès criant aux générations futures de France : « Et toi postérité ! accorde une larme à nos malheurs et nous mourrons satisfaits. » Il faut espérer que cette demande de reconnaissance sera un jour satisfaite par les Français blancs. C’est d’ailleurs à eux que s’adresse avant tout ce livre qu’ils doivent considérer comme « un cours de rattrapage » d’histoire pour une connaissance plus exacte de l’Histoire de France.
Raphaël ADJOBI
Titre : Ces Noirs qui ont fait la France (274 pages)
Auteur : Benoît Hopquin
Editeur : Calmann-Lévy