Le diable dévot (Libar M. Fofana)
Le diable dévot
ou les mésaventures du sexe féminin
en Afrique noire musulmane
Dans le monde musulman en général, le regard de l'homme de ce siècle sur la femme reste encore singulier. On peut même se demander s'il y a eu des évolutions dans ce domaine depuis les siècles passés. En tout cas, les récits que nous découvrons ça et là nous surprennent toujours parce qu'ils semblent sortir de la nuit des temps. Le Diable Dévot de Libar M. Fofana s'inscrit parfaitement dans le même esprit.
Mamadou Galouwa, surnommé l'imam fatwa (ce qui veut tout dire !), est sûr d'être en parfait accord avec les volontés d'Allah. l'érudition et la piété qu'il ne manque pas d'étaler dans ses sermons et dans la vie quotidienne ont fait de lui un être à part devant les hommes et sans doute devant Dieu. Mais voilà : un imam n'est accompli qu'après un voyage à la Mecque d’où il revient auréolé du titre de hadji. Et pour lui déplaire, un jeune imam ayant accompli ce pèlerinage espère prendre sa place. Pour le tirer d'affaire, un riche octogénaire de son village lui propose un billet en échange de la main de sa fille Hèra, âgée de treize ans. En un mot un pacte avec le diable.
Cette proposition n'enchante guère Mamadou Galouwa ; mais il ne peut repousser davantage le séjour à la Mecque au risque de perdre sa place. Heureusement pour lui, il est convaincu d'une chose : son "salut" viendra de la chair de sa fille. Le lecteur peut alors avec raison se demander lequel du riche tentateur et du père d'Héra, l'imam dévot, est le diable personnifié ?
L'histoire pourrait se terminer sur les délibérations intérieures et la décision finale de Mamadou Galouwa. Mais il semble que le but recherché par l'auteur est de plonger le lecteur au coeur de la sexualité de la femme dans le monde musulman. Car c’est finalement la jeune Héra qui semble l'héroïne du roman. C'est en fait l'histoire de son sexe qui nous est narrée ; ses mésaventures étant intimement liées à la vie de son sexe. Aussi bien dans son combat pour un idéal social que dans ses rêves d'amour, son sexe ne cessera de faire l'objet des plus grandes dissertations.
Ce qui retient l’attention dans ce livre, c’est l’inégale beauté du style entre le début et la fin : soigné et profond quand il s’agit de peindre les cœurs, les âmes ou interpréter les pensées des personnages, il devient moins agréable - disons quelconque - quand l’auteur multiplie les dialogues ou accélère les actions relatant la vie d'Hèra. Même si les mésaventures du sexe de celle-ci sont très instructives et la rendent attachante, ce sont les pages consacrées à l’imam dévot qui sont les plus belles d’un point de vue stylistique. Toutefois, le lecteur ne peut à aucun moment perdre de vue le réalisme cru, la peinture violente de l’étonnante cruauté des sentiments masculins faits de sordides calculs dans lesquels le cœur et l’âme de la femme ne sont jamais pris en compte. On croit avoir tout dit sur les astuces de l’homme pour s’approprier le sexe de la femme et voilà qu'on en découvre encore avec le diable dévot.