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Lectures, analyses et réflexions de Raphaël
3 juillet 2011

Paroles d'esclavage (Serge Bilé, Alain Roman, Daniel Sainte-Rose)

                            Paroles  d'esclavage

                                      Les derniers  témoignages

 

Paroles d'esclaves 0003            Disons-le franchement ! Le maigre contenu du livre, vu le prix, vous donne le sentiment de vous être fait avoir pour celui qui l’a commandé sans l’avoir consulté. Et celui qui y jettera un regard en librairie avant de prendre sa décision sera sans doute tenté de renoncer à son achat. En fait, tout l’intérêt de Paroles d’esclavage réside, non pas dans le livre, mais dans l’enregistrement audiovisuel (DVD) qui y est joint.

            Le contenu du livre se limite à 29 brefs témoignages précédés d’une présentation historique du peuplement des îles françaises des Caraïbes par les captifs venus d’Afrique, et suivis d’une analyse des témoignages recueillis. Il apparaît dans la présentation introductive que des deux grandes îles françaises, la Guadeloupe est beaucoup plus « esclavagisée » par rapport à la Martinique : esclaves et Blancs plus nombreux, libres de couleur moins nombreux. Mis à part quelques rares détails de la vie sociale qui retiennent l’attention, il ne faut pas s’attendre à des révélations extraordinaires. Toutefois, en arrière plan de tous ces témoignages se lit constamment la mixité sexuelle « noire-blanc » qui a profondément marqué la société antillaise et surtout la mentalité des métis appelés les « peau claire » ou les « sauvés » (parce qu'à l'origine enfants des maîtres blancs et donc "sauvés" de l'esclavage).     

C’est donc, comme je le disais plus haut, en visionnant le DVD que le message du livre prend toute sa dimension, toute son importance. Outre le visage des témoins dont les paroles ont été consignées dans le livre, le DVD nous fait entrer dans une classe de lycéens antillais regardant le film et donnant leurs impressions. Cette idée géniale des auteurs du livre donne une dimension pédagogique extraordinaire à leur entreprise.   Tout à coup, le spectateur prend conscience de l’importance du témoignage direct dans la construction aussi bien de l’individu que dans celle d’un peuple. La souffrance qui se lit dans les voix et sur les visages de ceux qui témoignent est irremplaçable ; et il est réjouissant de voir les jeunes spectateurs prendre conscience de l’importance de connaître son passé.      

Il ne faut pas perdre de vue que les lycéens du film sont des Antillais qui écoutent leurs grands-parents répondant à des questions qu’ils n’ont jamais osé poser sur leur propre passé méconnu ou connu sous l’angle de l’enseignement officiel, académique et républicain. Alors que les programmes officiels mettant l'accent sur le devoir de mémoire encouragent les enseignants à multiplier les visites des sites de la Shoa et des deux dernières guerres mondiales, on balaie du revers de la main tout ce qui se rapporte à l'esclavage. « On nous donne l’impression que ça ne sert à rien de raconter notre passé », dit un des élèves. « On ne nous a inculqué aucune fierté parce qu’on ne nous a pas raconté notre histoire », ajoute un autre.

Sachez donc que l’acquisition du livre vous donne accès à un outil pédagogique de grande qualité qui séduira tous les jeunes Français et particulièrement ceux qui ont un ascendant nègre. En visionnant le film, je n’ai pas pu m’empêcher de penser aux jeunes d’Afrique. Je suis convaincu qu’ils n’ont pas une plus grande connaissance de ce passé que les jeunes Français. Les enseignants africains gagneraient donc à acquérir ce livre et le DVD qui l’accompagne afin d’entrer de plain-pied dans l’univers de l’esclavage ; car, comme le disent Serge Bilé, Alain Roman et Daniel Sainte-Rose, ces Paroles d’esclavage sont certainement les derniers témoignages directs d’une époque qui va définitivement sombrer dans l’histoire. Voir et entendre la souffrance de ceux qui ont vécu ou récolté les témoignages des leurs, « ce n’est plus de l’histoire, c’est la vérité ».               

 

Raphaël ADJOBI

 

Titre : Paroles d'esclavage, les derniers témoignages (106 pages)

Auteurs : Serge Bilé, Alain Roman, Daniel Sainte- Rose

Auteur : Pascal Galodé

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Commentaires
S
Ton commentaire me fait plaisir, Alex, d’autant que revenant fraîchement d’Afrique ton regard sur les enseignants du Congo te permet une juste appréciation de mon appel. Tu peux dire ce que l’on peut attendre d’eux et ce que l’on ne peut tirer d’eux. C’est vrai, loin de l’Afrique, nous fondons beaucoup d’espoir sur les possibilités de ce continent. Mais sur place, le chemin restant à parcourir pour amorcer ne serait-ce que la prise de conscience de la marche à suivre est immense. Ton scepticisme est donc tout à fait compréhensible. Il ne me reste qu’à me consoler en me disant que demain on ne pourra accuser tous les Africains d’être restés peu soucieux de leur passé. <br /> Ce qui est magnifique dans cette vidéo, c’est de voir les jeunes Lycéens prendre conscience – en écoutant le témoignage des Anciens – du fait que si les Français blancs avancent dans ce monde avec plus d’assurance, c’est parce qu’ils portent l’histoire de leurs ancêtres comme un héritage vivifiant. Ces jeunes Noirs sentent tout à coup que lorsqu’ils regardent derrière eux, il n’y a que le vide. Ils ont tout à coup le sentiment d’être défavorisés par rapport à leurs compatriotes blancs. Avant de voir le film, ils avaient le sentiment qu’e l’on peut se passer de son passé pour se construire. Or, cela n’est vrai ni pour l’individu ni pour une nation.
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A
Je suis particulièrement frappé par ton observation pertinente sur le témoignage, entrant comme tu le dis, « dans la construction aussi bien de l’individu que dans celle d’un peuple ». Je me rappelle que le Professeur (belge) Benoit Verhaegen avait basé sa « méthode d’histoire immédiate » sur le témoignage… Revenant de Kinshasa il y a peu, je suis toutefois sceptique quant à ton encouragement aux enseignants africains d’« acquérir ce livre et le DVD ». Dans le cas particulier de la RDC, les enseignants sont si paupérisés qu’ils tomberaient à la renverse à l’écoute de ta suggestion. Voici donc un pays africain qui, selon un récent rapport, a reculé de plus de 40 ans dans son passé (ce qui est d’ailleurs une notion erronée car il y a 40 ans il existait dans le pays un réseau complexe de bibliothèques publiques ; on pourrait plutôt dire que c’est un pays qui est sorti de l’axe de sa propre histoire). Grand merci pour cette analyse pointue.
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