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Lectures, analyses et réflexions de Raphaël
4 mars 2019

Les Noirs, la Liberté et le Panafricanisme (Une réflexion de Raphaël ADJOBI)

         Les Noirs, la Liberté et le Panafricanisme

                            (Une réflexion de Raphaël ADJOBI)

Les sous-préfets de la France

            Commençons par un trait d'humour : deux africains furent fait prisonniers. On enchaîna l'un à un pieu dans une cour et on enferma l'autre dans une petite cellule, derrière une grille. On profita de leur sommeil pour dessiner des chaînes fictives à la place des chaînes réelles qui retenaient le premier et on déverrouilla la grille de la cellule du second. Pendant deux jours, l'un et l'autre demeurèrent dans leur posture initiale attendant patiemment l'arrivée de leur geôlier pour les libérer. 

            En ce début du XXIe siècle, très nombreux sont les Africains noirs - surtout les gouvernants francophones - qui sont dans l'une ou l'autre des deux situations. L'Afrique francophone est en effet semblable à une immense salle d'attente où sont entassés des êtres qui n'ont rien à faire ensemble et qui passent leur temps à se regarder sans savoir quelle posture prendre en attendant de savoir ce que le Blanc compte faire d'eux. Pire, quand le maître blanc vient à clamer qu'ils sont libres, certains paniquent et lui crient : «Maître, mais qu'allons-nous faire de toute cette liberté ? » D'autres lui proposent même un nouveau contrat : «Gardez-nous sous votre joug jusqu'à ce que nous soyons prêts pour nous assumer librement ! »       

            La liberté, cette porte ouverte sur le vide et l'incertitude, est de toute évidence la grande hantise des Africains francophones. Ainsi, devant l'autonomie monétaire que préconisent ceux qui veulent sortir de l'emprise du Franc CFA, certains paniquent ! Partir de rien pour forger son propre avenir quand on jouit des miettes octroyées par une puissance étrangère leur paraît une entreprise extrêmement périlleuse. Alors, depuis quelques années, ils ont fait de ce chapitre de leur histoire un sujet de longs débats et de consultations auprès des autorités françaises détentrices de cette monnaie. Inutile de leur rappeler que «quiconque est digne de la liberté n'attend pas qu'on la lui donne ; il la prend» (Madeleine Pelletier, psychiatre, militante féministe). Car la dignité, ils ne savent pas ce que c'est ; elle n'entre nullement dans leurs considérations.

            Plus de soixante ans après l'indépendance, des hommes politiques africains viennent en Europe chercher la caution française au moment de briguer la présidence de leur pays. Et, en cas d'échec de leur prétention, ils n'hésitent pas à faire appel à l'intervention militaire française pour les installer au pouvoir : Alassane Ouattara en Côte d'Ivoire (2010), Jean Ping au Gabon (2016), Martin Fayulu en RDC (2018) ne nous contrediront pas. Force est de constater que le Noir francophone a rarement fait sien l'idéal de liberté prôné par Jean de La Fontaine dans la fable "Le loup et le chien". Dans ce célèbre récit, en réponse à son compère domestique qui vient de lui vanter brillamment les bienfaits de la servitude afin de l'exhorter à quitter une vie de liberté semée d'aléas, l'animal sauvage déclare fermement : « (Je) ne voudrais pas même à ce prix un trésor». Oui, la faim, le tâtonnement, la souffrance, sont des aléas attachés à la Liberté ! Mais il n'y a pas de vie pleine et entière sans liberté parce que c'est justement dans cet état que l'homme se réalise pleinement dans les contingences de la vie terrestre. Tous ceux qui n'auront pas connu cet état ou fait cette expérience ne devront jamais dire qu'ils ont vécu. Vivre dans une totale sécurité sans jamais mettre le pied hors du sillon que nous avons trouvé en entrant dans la vie, sans mettre le nez hors du logis qui nous est donné, sans entreprendre quelque projet hors du giron de l'héritage, vivre ainsi est synonyme d'une vie de servitude. 

De Gaulle et ses Africains

            Au regard de l'analyse que nous venons de faire, chacun peut aisément comprendre pourquoi le Panafricanisme, qui a émergé sur la scène internationale avec le succès progressif de la solidarité des Noirs américains autour des droits civiques, n'a jamais connu aucune victoire significative en terre africaine. Sur les navires négriers et dans les Amériques, le panafricanisme est parti de la base, s'est forgé dans les souffrances des hommes pour s'exprimer en révoltes, insoumissions et revendications civiles. En Afrique, le panafricanisme est parti du sommet, des sphères intellectuelles, et peine à embraser les désirs des populations qui souffrent. Pour que triomphe le panafricanisme dans les rangs des Africains francophones, il faut nécessairement que les combattants qui acceptent les aléas liés à la Liberté soient plus nombreux que les amoureux de la jouissance dans la servitude. Car, contrairement à ce que l'on pourrait croire, les Africains noirs d'aujourd'hui semblent s'accommoder plus facilement de la servitude que leurs ancêtres qui ont connu le tourment de la captivité à bord des navires négriers. Ils mènent une vie pleine d'espoir mais vide de courage. Or sans le courage, l'espoir n'est rien.  

                    Le panafricanisme à bord des bateaux négriers

            Je partage avec Marcus Rediker - auteur de A bord du négrier - l'idée que «l'Afrique de l'Ouest est l'une des zones linguistiques les plus riches au monde». Croire qu'à bord de chaque navire négrier embarquaient des individus parlant des langues diverses vers le Nouveau monde est donc une vue tout à fait réaliste. cependant, comme le fait remarquer avec justesse Markus Rediker, alors que «chaque navire contenait en son sein un processus de dépouillement culturel venant d'en haut», ce mouvement se heurtait immanquablement à «un processus de création culturelle venant d'en bas». Les révoltes, la multiplication des suicides après chaque rébellion avortée ainsi que le refus de s'alimenter, toutes ces réponses collectives à l'incompréhensible captivité sont aux yeux de l'historien américain un mystère : «comment un groupe multiethnique de plusieurs centaines d'Africains a-t-il pu apprendre à agir collectivement» sur de nombreux navires négriers alors qu'ils ne bénéficiaient jamais de l'expérience des précédents captifs, se demande-t-il ? Comment cette solidarité multiethnique a-t-elle été possible alors que ces hommes savaient qu'à terre ils étaient dressés les uns contre les autres par les Blancs et que logiquement chacun devait regarder son voisin comme l'auteur de son infortune ?

            Il convient de reconnaître que c'est véritablement là, sur les navires négriers, que les Noirs ont expérimenté le panafricanisme. Avant de constituer de petites communautés de fugitifs sur le continent américain, ils avaient appris, individuellement puis collectivement, à transcender les maux qui les déchiraient sur la terre d'Afrique pour constituer un corps uni contre l'adversité qui s'acharnait à les déshumaniser. 

            Alors qu'aujourd'hui les Africains francophones, satisfaits des miettes que leur jettent les Français, sont incapables d'entreprendre collectivement le moindre mouvement de boycott, les captifs africains avaient, sur les navires négriers, initié les combats qu'ils allaient mener inlassablement sur le continent américain durant des siècles pour accéder à la liberté totale et à l'obtention des droits civiques au même titre que les descendants de leurs bourreaux. Voici ce que Marcus Rediker dit de ce boycott : «La traite atlantique fut en de nombreux sens une grève de la faim de plus de quatre cents ans. Des balbutiements du commerce de corps humains au début du XVe siècle jusqu'à son terme à la fin du XIXe siècle, les Africains asservis refusaient régulièrement de manger la nourriture qui leur était offerte». Or, la principale mission de chaque capitaine était de parvenir à bon port avec des corps vivants et en bonne santé. «Refuser de se nourrir était par conséquent avant tout un acte de résistance, la source de quasiment tous les autres. Ensuite, ce refus s'avéra être une tactique de négociation relativement efficace : de mauvais traitements pouvaient à tout moment déclencher une grève de la faim. Enfin, ces grèves de la faim contribuaient à créer à bord une culture commune de la résistance, un "Nous" contre un "Eux". Elles envoyaient donc plusieurs messages en même temps : nous ne serons pas votre propriété ; nous ne serons pas votre force de travail ; nous ne vous laisserons pas nous dévorer vivants». 

            Prétendus panafricanistes d'aujourd'hui, où est votre culture commune de la résistance ? Et quels sont les messages à l'adresse de la France que véhicule cette culture commune ? Tant que la France ne verra pas apparaître concrètement une culture d'un "Nous" contre un "Eux", elle n'a aucune raison de modifier sa posture ou sa politique. C'est la leçon que vous ne devez jamais perdre de vue ! 

Raphaël ADJOBI

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Commentaires
B
Le PANAFRICANISME reste une Utopie.<br /> <br /> La volonté seule ne suffit pas mais la Démocratie à l'Occidentale, qui, elle même est dépassée( démocratie par la représentation) ne peut jamais permettre d'atteindre un tel but...<br /> <br /> Le débat est ouvert et notre histoire nous enseignera de bonnes choses pour concevoir et sans tarder, amorcer courageusement et intelligemment la bataille économique: première étape et condition sinequanone pour oser envisager quoi que ce soit,...
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S
En fait, le Panafricanisme n'existe pas ! C'est un rêve louable et magnifique. Mais cela reste un rêve.
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L
J'apprécie beaucoup la teneur ironique de ton billet ainsi que les différentes références, qu'elles soient littéraires avec La Fontaine, historiques avec l'histoire de l'esclavage ou monétaires avec le Franc CFA. Toutes contribuent à dresser un portrait cocasse, une caricature du Panafricaniste d'aujourd'hui.
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