Un autre tambour (William Melvin Kelley)
Un autre tambour
(William Melvin Kelley)
Selon l’auteur, le titre du livre – Un autre tambour – fait référence à quelques vers d’un poème de l’Américain Henry David Thoreau disant « Quand un homme ne marche pas du même pas que ses compagnons, c’est peut-être parce qu’il entend battre un autre tambour » ; et les vers complétant cette pensée sont un encouragement à celui qui se trouve dans cette situation : « Qu’il accorde donc ses pas à la musique qu’il entend, quelle qu’en soit la mesure ou l’éloignement ». Le lecteur peut donc deviner à quoi il doit s’attendre s’il ajoute à ces vers le contenu de la quatrième de couverture précisant que dans ce livre « toute une population déserte une ville » après le geste d’un seul homme qualifié de fou. Aussi, plutôt que de donner ici une analyse de ce roman de William Melvin Kelley, nous nous limitons à dire tout simplement qu’il peut être dédié, avec beaucoup de reconnaissance, à deux catégories de personnes :
- A tous les Blancs qui, conscients de la différence de leur carnation, n’acceptent pas que les lois et autres mesures de l’État valident les injustices que soutiennent et revendiquent certains à l’égard de ceux qui n’ont pas leur couleur de peau. En effet, dans ce monde, nombreux sont les Blancs qui, devant les injustices, les humiliations, le refus de la prise en compte par l’Etat des spécificités des minorités visibles, se taisent, refusent de s’engager, ou parfois même poussent l’ignominie jusqu’à dire que les choses ont toujours été ainsi et que l’on ne peut rien y changer. Dans une société à majorité blanche, où femmes et hommes sont accrochés à leurs certitudes comme des moules à leur rocher, voir certains de cette communauté considérer les choses sous un autre angle et se dire « non, les choses ne peuvent pas continuer ainsi », cela mérite assurément un hommage appuyé. Car dans certains pays, ces Blancs sont « blacklistés », c’est-à-dire classés comme des traîtres de leur propre communauté.
- A ceux qui, continuellement exploités, humiliés et méprisés, décident un jour de briser la chaîne des injustices qui les frappent comme un sort éternel. Mais dans cette catégorie, il s’agit presque toujours d’un seul homme ou une seule femme osant poser le premier acte qui amorce le mouvement d’un autre, puis d’un autre encore jusqu’à ce que la chaîne brisée donne à la société un autre visage. Dans ce livre, c’est justement l’action incompréhensible – parce que brutale et inhabituelle – du premier modèle qui sert de fil conducteur au récit et tient le lecteur en haleine jusqu’au dénouement final. Ce modèle fait partie de ces héros qui permettent à d’autres personnes – Blanches ou Noires – de dire « sans votre acte de défi […], je n’aurais peut-être pas fait ce que j’ai fait » (Le feu des origines, Ch. V, Emmanuel Dongala), ou encore « Il s’est libéré : cela a été capital pour lui. Mais il m’a libéré aussi, d’une certaine manière » (propos d’un personnage blanc d’Un autre Tambour).
Nous appuyant sur une conversation entre un jeune homme blanc d’ Un autre tambour – déçu par le jugement de sa mère sur les Noirs – et son père, nous disons ceci : à l’heure où Blancs et Noirs se côtoient quotidiennement dans les mêmes écoles et les mêmes universités, devant les propos méprisants et les choix injustes de certains adultes, il serait très agréable que les jeunes Blancs soient plus nombreux à dire à leurs parents « Je trouve assez injuste de votre part de m’envoyer à l’école fréquenter des Noirs, puis de me demander de rester un bon petit Blanc » avec des idées racistes. Et ce serait aussi très réjouissant d’entendre les parents répondre : « Tu as raison. Nous ne pouvons nous attendre à ce que tu sortes de l’école pareil à ce que tu as toujours été » parmi nous (p. 215 et 217). En effet, si l’école et la compagnie des autres ne nous changent pas, qu’est-ce qui peut faire grandir notre humanité ?
Raphaël ADJOBI
Titre : Un autre tambour, 283 pages.
Auteur : William Melvin Kelley
Editeur : Delcourt, 2019.