Justin Katinan KONE explique la manipulation des
populations du Nord et celles de la CEDEAO
par Alassane Ouattara
Justin Katinan Koné, ancien ministre de Laurent Gbagbo exilé au Ghana, est originaire du Nord de la Côte d’ivoire ; cette région de son pays dont les populations ont été présentées durant des décennies par Alassane Ouattara, la France et les pays du Sahel comme détestées et maltraitées par le reste des Ivoiriens. Après les aveux du député Konaté Zié (RDR – parti de Ouattara) en août dernier, lui aussi du Nord - (voir mon article «La Côte d’Ivoire en 2020 : le bilan politique sans perspective de Ouattara) – Justin Katinan Koné vient confirmer ce que Mamadou Koulibaly et Laurent Dona Fologo n’ont jamais présenté comme le principal problème de la Côte d’Ivoire dans les années à venir : la réconciliation des Ivoiriens après bientôt dix ans de confiscation de toutes les structures institutionnelles et administratives de la Côte d’Ivoire par les Nordistes et les populations issues des pays de la CEDEAO avec lesquelles ils ont créé des villages nordistes au sud du pays – et parfois même au sein des villes du Sud. Si la majorité des Ivoiriens parvient à chasser Alassane Ouattara du pouvoir malgré ses nombreux partisans nordistes, la réconciliation nationale passera forcément par l’éradication des traces du rattrapage ethnique. Quand on construit un pays sur la base d’un mensonge, on le prépare à des lendemains douloureux. Il faudra donc beaucoup de volonté et du courage aux Ivoiriens pour laver leur linge sale en famille ! Quand on lit l'ancien ministre de Laurent Gbagbo, fils du Nord du pays, tout est clair.
Pourquoi la communauté étrangère de la CEDEAO doit s’associer
au mot d’ordre de désobéissance civile
Toute la logique de conquête et de conservation du pouvoir de monsieur Ouattara et de son clan repose sur deux piliers. La régionalisation du pouvoir d’Etat et l’instrumentalisation de l’épineuse question des nombreux ressortissants de la CEDEAO, notamment la communauté Burkinabée et malienne.
Tout le monde se souvient des propos tenus par Ouattara, au cours d’une interview, lors de son tout premier voyage officiel en France en 2011. L’on se rappelle en effet qu’il justifiait la prééminence qu’il accordait aux cadres du Nord dans son administration par le fait qu’il s’était fait le devoir de faire rattraper le retard accusé par ces derniers du fait de leur exclusion de l’Etat par les régimes précédents. J’avais dénoncé en son temps cette vision extrêmement dangereuse pour la nation et pour l’Etat. J’avais même prévenu que les dernières et grandes victimes de ce nouveau mode de gestion du pouvoir d’Etat seraient nous, les ressortissants du nord. En effet, le risque était grand qu’une telle manipulation malicieuse de nos ressentiments réels ou suggérés n’incline nos esprits vers les réflexes de tribu assiégée qui aurait besoin, pour sa survie, d’une sentinelle ou d’un Robin des Bois. Une telle muraille érigée dans notre conscience nous séparerait définitivement du reste du pays et, une fois constitué en corps captif pour la conservation ou la conquête du pouvoir de monsieur Ouattara, les ambitions contradictoires au sein de la tribu porteraient l’estocade au Nord. Malheureusement la suite des évènements semble corroborer mes inquiétudes. Le décès du Premier Ministre Amadou Gon Coulibaly, la guéguerre mortelle entre messieurs Ouattara et Soro Guillaume, les nombreuses défections des autres cadres des autres régions du pays, anciens compagnons parfois de longue date de monsieur Ouattara découlent tous d’une seule et même source : la régionalisation du pouvoir d’Etat.
Dans les faits, l’apologie de l’ethnicisme s’est opérée au RDR à partir des années 95. L’aile centriste, proche de la gauche, qui avait rompu avec le PDCI pour se muer en parti politique, a été très vite débordée par l’orientation ethnique et régionaliste qui a été donnée à ce groupement politique quelques instants avant le décès de Djeni Kobena. Ainsi, ont très vite disparu des sphères de décision, entre autres, Alexandre Ayé, Badaubré, Jacqueline Oble, Grah Claire, Hyacinthe Leroux, etc. Une fois l’épuration régionaliste achevée, au sein même de la famille régionale, il y a eu une sorte d’épuration de tout ce qui était de nature, intellectuellement parlant, à faire ombrage à Ouattara qui se voulait l’unique étoile brillante dans le ciel du RDR. Des brillants cadres du nord ont été poussés d’abord vers la périphérie du centre décision avant de s’éteindre définitivement. Aussi, tous ceux qui étaient capables de nourrir aussi des ambitions présidentielles ont-ils été écartés pour faire place nette à l’unique Ouattara. Nul ne sait ce que sont devenus le ministre Adama Coulibaly dit Adama Champion par exemple ou le sociologue Konaté Yacouba. Ben soumahoro est décédé en exil. Il y a très longtemps Zémoko Fofana et Ngolo Coulibaly sont réduits à jouir d’une retraite dorée qui les tient très loin des centres de décision. L’épuration de l’élite intellectuelle a fait place nette à la force brute et à la brutalité politique qui porteront Ouattara au pouvoir et il compte, bien entendu, sur cette brutalité pour préserver ce pouvoir. Après avoir éteint toute luminosité au Nord pour être seul maître, il s’en proclame le défenseur exclusif et universel. Cela ne constitue pas pourtant le seul paradoxe de la démarche du Président Ouattara. En 1991, des cadres du nord, se réclamant de lui, écrivent un document sous forme de chartre intitulé "Le Grand Nord en marche ». Ce brulot est un ramassis de récriminations contre le pouvoir central. Il fait ressortir un ensemble de ressentiments liés à des frustrations qu’auraient subies les populations du Nord écartées de la gestion politique de l’Etat. En 1991, il s’agit bien du bilan du Président Houphouët qui est ainsi attaqué. Parce que ni Bédié, encore moins Gbagbo, n’avaient géré l’Etat au sommet à cette date. Il y a quand même quelque chose d’assez paradoxal de s’affubler, après une telle attaque frontale de la gestion d’Houphouët, le titre d’houphouétiste. En 2011, quand Ouattara affirme, par ses nominations fortement tribalistes, vouloir réparer un tort causé aux nordistes, il fait absolument référence à la Chartre du Nord. Ce faisant, il joue fin même si le jeu est extrêmement dangereux pour la cohésion nationale. Conscient que la voie qu’il a empruntée pour accéder au pouvoir d’Etat lui a coupé la sympathie, et parfois définitivement, d’une grande partie de la population, il a besoin de se créer un bouclier. Il manie deux leviers aux effets convergents. Flatter le nord en lui faisant croire qu’il est effectivement le jouisseur exclusif du pouvoir ; provoquer symétriquement un sentiment de frustration et de révolte des autres populations contre les gens du Nord, de sorte à créer une peur permanente à ceux-ci dont il s’en sert pour renforcer leurs obligations vis-à-vis de lui. Malheureusement, sa manœuvre semble fonctionner. Très peu de nos compatriotes se rendent compte que le niveau de scolarisation bas de nos concitoyens du nord, du fait de l’arrivée tardive de l’école dans nos régions, en font à la fois des cibles privilégiées de toutes les formes d’endoctrinement, religieux et politique. Ouattara joue à fond sur cette réalité. Il appartient aux Ivoiriens de garder la vigilance haute afin de faire la différence nette entre la main qui divise et les victimes de cette division qui s’ignorent. Mais c’est surtout aux populations du Nord de prendre conscience que cette manœuvre de Ouattara est très dangereuse pour elles. C’est un piège mortel duquel nous devons sortir impérativement. Cette victimisation du Nord ne profite finalement qu’à une et une seule personne : Ouattara. Les nominations des cadres du nord dans la haute hiérarchie du pouvoir d’Etat ne date pas de Ouattara. A titre d’exemples, il convient de relever que :
Avant Hamed Bakayoko, il y a eu Nalo Bamba ministre de l’intérieur. Il était du Nord. Avant Doumbia Chef d’État-major, il a eu Thomas d’Aquin et Timité Lassina. Ils étaient du Nord. Avant Soro Guillaume et Soumahoro Amadou Présidents de l’Assemblée Nationale il y a eu Mamadou Koulibaly. Avant KONE Mamadou au Conseil Constitutionnel, il y a eu Nemin Noel de Katiola et Lanzeni Coulibaly à la Cour Suprême. Avant Touré Apalo commandant Supérieur de la Gendarmérie, il y a eu Gaston Ouassénan KONE. Avant Koné Amadou ministre du transport, il y a eu Coulibaly Adama, tous les deux de Korhogo, avant Ly Ramatou présidente de l’université, il y a Tuo Valy, et Touré Bakary, avant Camara à la Sir, il y a eu Tounkara, avant Diaby à la PETROCI, il y a eu Fadiga Kassoum qui est en exil aujourd’hui. Avant KONE Adama au Trésor puis au ministère de l’Economie il y a eu Ngolo Coulibaly et Aboulaye KONE. Avant Kandia Camara à l’éducation nationale, il y a eu Balla Kéita. Avant Cissé Bacongo à l’Enseignement supérieur, il y a eu Saliou Touré. Avant KONE Tiémoko à la BCEAO, il y a eu Fadiga Aboulaye et Alassane Dramane Ouattara. Lamine Diabaté a dirigé la direction nationale de la BCEAO Côte d’Ivoire. Avant Issa Coulibaly Dg des Douanes, il y a Coulibaly Adama et madame Mlanhoro KONE etc. Sarata Touré, Malick Coulibaly, KONE Katinan, Demba Traoré, Amara Touré, Ouattara Gnonzié, Assana Ouattara, Soro Seydou dit Soro coton etc. ont tous été des proches collaborateurs de Laurent GBAGBO. Alors comment opère-t-on pour distinguer entre les bons et les mauvais fils du Nord sans tomber dans la manipulation des consciences.
Il est donc illusoire de faire croire que le salut du Nord se trouve dans la présence continue de Ouattara à la tête de l’Etat. Plus nous soutenons Ouattara dans l’insoutenable, plus nous prenons le risque de servir d’instruments de sa politique de division nationale.
La seconde catégorie de population, sur laquelle Ouattara et le RHDP ont également assis leur stratégie de conquête et de conservation de pouvoir, est composée de la forte communauté des ressortissants de la CEDEAO, notamment Burkinabé, Malienne, Guinéenne et, à un moindre degré, sénégalaise. La gestion de cette communauté, notamment les deux premières composantes citées, constitue un défi majeur pour tous les gouvernements parce que leur présence reste intimement liée à la nature de notre économie. En effet, l’économie cacaoyère, depuis son instauration à la fin du 19ème et début du 20èmesiècle, a attiré une forte population étrangère qui a migré à l’intérieur du pays en suivant le déplacement de la boucle du cacao. De ce point de vue, les villages de Garango, Koudougou, Koupela, Tingodogo, dans les alentours de Bouaflé, sont les répliques du gros village de SAMO. En effet, tout comme celui-ci, ceux-là ont été créés pour répondre au même besoin de main d’œuvre agricole pour l’aristocratie agricole naissante qui n’était pas, déjà à cette époque, exclusivement de la Côte d’Ivoire. Quand Verger créé ses plantations de cacao dans le Sud Comoé, il est imité par certains cadres locaux de l’administration coloniale. Tous ces exploitants ont besoin d’une forte main-d’œuvre que les autochtones Agni et autres ne peuvent leur fournir. Ceux-ci sont même taxés de paresseux comme l’on taxe aujourd’hui les autochtones de l’Ouest. Pour satisfaire leurs énormes besoins en main-d’œuvre, les exploitants agricoles créent un syndicat appelé Syndicat Inter-Agricole de la Main-d’œuvre (SIAMO) qui se charge de recruter la main d’œuvre dans toute la partie septentrionale de la Côte d’Ivoire, et au-delà dans la colonie de la Haute Volta. Une convention est même signée avec le Moro Naba de Ouagadougou à qui est versée une partie de la rémunération de ses sujets convoyés en Basse Côte pour servir de main d’œuvre agricole. Cette main d’œuvre, logée à proximité des plantations, va donner naissance à la bourgade cosmopolite de SAMO qui est une déformation de SIAMO. Quand Houphouët créé ses vastes plantations de café et de cacao entre Yamoussoukro et Bouaflé, il s’inspire de l’exemple de ses collègues planteurs du Sud-Comoé. Une forte population de la Haute Volta descend pour servir de main d’œuvre. C’est cette forte communauté qui se regroupe dans des bourgades à qui elle donne des noms qui se réfèrent à leur sphère d’origine en Haute-Volta. Ces villages serviront de point de départ de ladite communauté à la conquête des terres du grand Ouest ivoirien. La pression qui s’exerce sur la terre, qui se rétrécie comme peau de chagrin, nourrit de graves antagonismes qui débouchent sur des conflits qui deviennent au fil du temps très violents. Ces conflits sont favorisés par la faiblesse de la législation foncière qui a gardé tous ses habits de l’époque coloniale et la grande corruption de l’administration. Le peu d’intérêt accordé à l’état civil complète le cocktail explosif. A partir des années 90, cette forte communauté devient un enjeu important pour Ouattara et le RDR dans leur conquête du pouvoir d’Etat. S’autoproclamant son protecteur, Ouattara en a fait une communauté de soutiens captifs. Ce n’est donc pas étonnant qu’elle ait été l’une des pourvoyeuses de la main d’œuvre de la rébellion de 2002. C’est également la raison pour laquelle Ouattara entend lancer sa campagne à Bouaké qui abrite une très forte communauté de la CEDEAO, de loin plus nombreuse que les autochtones. La foule des non électeurs justifiera a posteriori sa victoire et sa supposée popularité. Mais la conservation du pouvoir par OUATTARA ne résoudra pas, pour autant, cet épineux problème. Il faut un consensus national sur cette question de sorte à faire sortir cette communauté du jeu des intérêts politiques. Autrement, elle sera toujours la proie de tous les aventuriers politiques et la cohésion sociale restera une faiblesse permanente dans le pays.
Le consensus national est nécessaire pour régler définitivement la question de la communauté étrangère en vue de son intégration suivant des modalités précises. La solution passe absolument par une consultation du peuple par référendum. La solution par la petite porte, comme celle que l’on propose actuellement à Bouaflé et qui consiste à donner automatiquement des pièces d’identité à la forte communauté d’origine burkinabé, va aggraver la méfiance entre les populations. La communauté étrangère sera toujours perçue comme usurpatrice de la nationalité. Le problème est plus que l’établissement d’une pièce d’identité. Il s’agit d’un problème de conscience sociale qui doit être résolu avec l’implication des populations ivoiriennes elles-mêmes. Si les grands partis politiques appellent à voter oui à ce référendum, nous aurons débarrassé le pays d’une tumeur qui est devenue menaçante pour l’équilibre de la nation et l’arme de prédilection de Ouattara. L’exploitation malhonnête de ce problème a fragilisé la cohésion sociale. Ouattara y a assis toute sa stratégie de conquête et de conservation du pouvoir. Pourtant il ne l’a pas résolu ou, du moins, ses tentatives de résolution sont mal perçues par les populations nationales autochtones. C’est pourquoi, celles-ci doivent être associées à tout mécanisme d’intégrations des communautés étrangères qui vivent dans le pays depuis plusieurs décennies et dont la présence est une réalité sociologique qu’on ne peut ignorer. C’est une erreur pour les membres de cette communauté de penser que leur salut se trouve dans la pérennisation du pouvoir de Ouattara. C’est plutôt un statut juridique solide, construit à partir de la volonté populaire des autochtones, qui va assurer leur intégration parfaite à la communauté nationale. C’est pourquoi, cette communauté a tout intérêt à soutenir l’appel à la désobéissance civile qui devra déboucher sur un nouveau contrat social qui tiendra forcément compte, pour l’intérêt de la nation, de l’intégration de ses membres.
Prenons une fois courage et dans un élan de solidarité nationale, posons les fondements d’un nouveau contrat social. Le problème de la Côte d’Ivoire n’est pas d’avoir son parent ou son coreligionnaire à sa tête. Il n’est même pas d’ordre électoral. Le pays a besoin d’un nouveau départ. 30 années de manipulation ethnico- religieux ou de repli identitaire clanique, ça suffit.
Le ministre Justin Katinan KONE