Tsippora, l'épouse noire de Moïse
Tsippora, l'épouse noire de Moïse
Je bénis l’occasion qui m’a été donné d’écouter l'histoire de Miriam, la soeur de Moïse, frappée brutalement par la lèpre. Dans ce récit biblique, un mot a retenu mon attention et m'a poussé dans des investigations pour étancher ma soif. Le passage de Nombre Ch.12 v.35 racontant l'exode des Hébreux après la sortie d'Egypte dit en effet : « De Qibroth-Taava le peuple partit pour Hatséroth ; il s'arrêta à Hatséroth. Alors Miriam et Aaron parlèrent contre Moïse au sujet de la Koushite qu'il avait prise - c'est une Koushite qu'il avait prise pour femme. » Me référant à la géographie biblique, je sais que le pays de Koush se situe dans l'actuel Soudan comprenant sans doute aussi l'actuel Ethiopie. La femme de Moïse est donc noire, me suis-je dit ! Curieux, j'entrepris la lecture du livre de l'Exode pour en savoir davantage. Au Ch. 2 v. 21 et 22, j'apprends qu'ayant fui l'Egypte, Moïse s'est installé dans le pays de Madiân, et qu'il prit pour femme Sephora, l'une des sept filles du prêtre Jethro. Au Ch. 4 v. 18 et 20, on peut lire aussi que quand Moïse reçut de Dieu l'ordre de retourner en Egypte, « de retour auprès de Jethro, son beau-père, [...] il prit sa femme et ses fils, il les fit monter sur des ânes et retourna en Egypte. »
(Koush et le pays de Madiân qui couvre toute la péninsule où se trouve le Mont Sinaï)
Nous savons tous que la Bible est très elliptique sur la peinture de certains personnages. Sur l'épouse de Moïse qui est une noire venue de Koush ou appelée Koushite parce que noire, le Livre Saint reste très avare. Il mentionne qu'elle est Koushite seulement quand le frère et la sœur de Moïse ont manifesté leur animosité à son égard. Tant que ce sentiment n’a pas été exprimé, nulle part il n’est dit qu'elle est Koushite. Selon la Bible, visiblement, ce serait son statut d'étrangère noire qui est la cause de la désapprobation de Aaron et Miriam. Et l'intervention de Dieu pour punir Miriam en la frappant de la lèpre de manière miraculeuse est pleine de sens pour tout le peuple de Dieu hier comme aujourd'hui. La présence de cette femme noire parmi les Hébreux et le regard qui est porté sur elle va même pousser Dieu à insérer dans les tables qu’il donnera à Moïse, une loi protégeant les étrangers. C’est dire combien cette femme noire, l'épouse de Moïse, a été aux yeux de Dieu aussi importante que celui qu’il a chargé de libérer les Hébreux.
Tsippora, le roman de Marek Halter auquel m'a conduit ma curiosité, tente de combler le vide laissé par la Bible concernant cette épouse pour laquelle Dieu a fait des miracles quand elle a été menacée par les hébreux par le biais du frère et de la soeur de son époux. On peut penser qu'en écrivant ce livre, Marek Halter a dû certainement se dire : « il faut vraiment que cette femme soit très importante dans la vie de Moïse pour que Dieu intervienne directement pour réprimander Aaron et punir sévèrement Miriam ! ». En tout cas le portrait qu'il donne ici de Tsippora est digne de la grandeur de la Bible elle-même. D'autre part, quand on lit ce livre, on comprend aisément pourquoi Moïse n'a pas suivi les Hébreux en terre promise après les avoir libérés d'Egypte. La restitution de la vie de cette femme biblique est à la fois très humaine et exemplaire à l'image de toutes celles que le Livre Saint nous présente comme bénies de Yahvé. C'est aussi l'un des rares romans écrit par un auteur blanc où l'héroïne noire reçoit tous les attributs d'un être admirable. Marek Halter rejoint donc Claire de Duras, l’auteur de Ourika dont l’héroïne noire devint l’idole de tout un peuple blanc au 19è siècle.
Toutefois, certains, comme moi, ne manqueront pas de relever le subterfuge inventé par l'auteur pour contenter le lecteur Européen blanc qui a du mal à admettre qu'un Madiânite peut être noir. On oublie bien souvent que de la même façon qu'à l'époque de l'esclavage, presque tous les noirs qui faisaient les délices des salons aristocratiques et bourgeois de France étaient considérés comme des Sénégalais, de même à l'époque des récits bibliques tout ce qui était noir était appelé éthiopien, égyptien, nubien, ou koushite. A une époque plus récente, dire que tel est un maure voulait dire qu’il est noir, et dire que tel est « un tirailleur sénégalais » voulait dire qu'il était un soldat noir de l'armée coloniale française. On oublie aussi qu'aujourd'hui, parmi nous, on dit que tel ou tel est africain et cela tout simplement parce qu’il est noir. Sephora est donc appelée la Koushite, non pas forcément parce qu'elle vient du pays de Koush mais certainement parce qu'elle est tout simplement noire comme son père et ses soeurs. Quant à ces derniers, à aucun moment la bible ne parle d'une quelconque animosité à leur égard nécessitant une justification par la couleur de leur peau. Normalement quand on écrit un livre rien ne nous oblige à préciser si nos personnages sont blancs ou noirs si aucune circonstance ne l'exige. La Bible respecte scrupuleusement ce principe. D'autre part, affirmer qu'il n'y avait point de Noirs hors de l'Afrique à l'époque de la fuite d'Egypte des hébreux serait un grossier mensonge. Si Sephora est noire, pourquoi serait-il exclu que son père Jethro le soit également ? Il n'était vraiment pas nécessaire que Marek Halter fasse de Tsippora une fille adoptée par une famille blanche. Cette famille était sûrement noire !
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Raphaël ADJOBI
Titre : Tsippora (318 pages)
Auteur : Marek Halter
Editeur : Robert Lafont ; collect. Pocket
(La Bible au féminin)